Le grand récit de Jens Harder
En 2009 sortait “ALPHA… directions” de Jens Harder. L’épais volume proposait une vision artistique de l’histoire de notre univers, depuis le Big Bang jusqu’à l’apparition de la vie sur Terre, décrivant le tout à l’appui des connaissances scientifiques à jour. Ce premier tome fut suivi en 2014 de “BETA… civilisations” premier volet, complété en août dernier par un deuxième volet “BETA”, qui poursuit l’histoire en s’intéressant au développement des civilisations humaines et ce jusqu’à nos jours. Un ultime épisode, “GAMA”, décrira quant à lui les futurs envisageables et conclura ce triptyque intitulé “Le Grand Récit”.
L’oeuvre est monumentale, et le travail méticuleux force le respect ! En trois fois quatre cents pages (et plus à suivre !), Harder nous offre une expérience visuelle forte, rythmée de pages récapitulatives de dates intercalées entre les chapitres, de faits, d’événements en forme de points de repère. On s’attarde à chaque case, scrutant les moindres détails. De leur enchaînement, on devine les changements de thématiques, d’époques, de zones géographiques, les propos de l’auteur. Ce dernier insère régulièrement dans la trame narrative chronologique des allusions pop culture, principalement empruntées au cinéma et à ses affiches.
C’est véritablement l’agencement des images que l’on lit. Les quelques lignes de texte qui articulent certains enchaînements donnent certes quelques indications, mais elles pourraient être totalement absentes et ne gêner en rien la lecture. Le Grand Récit est donc cet objet littéraire étonnant, véritablement BD en tant qu’art séquentiel graphique au sens où l’entend Scott McCloud, se passant quasi intégralement du recours aux textes pour développer son propos.
Concernant plus spécifiquement les deux tomes de “BETA”, on suit la phylogénie des familles humanoïdes jusqu’à l’émergence de homo sapiens sapiens, la disparité des développements et le devenir des différentes branches humaines, pour atteindre la sédentarisation, l’apparition des outils, de l’agriculture, de la culture, avec une coupure qui se fait à la naissance de Jésus, un choix que l’auteur justifie en expliquant le tournant radical que représente ce moment de l’Histoire pour l’Humanité. A cet égard, il faut noter le travail important pour décentrer le regard historique facilement européocentré dans ce type d’exercices, et s’intéresser à la Chine, à la succession des empires en Asie centrale, ainsi qu’à l’Amérique avant la conquête blanche. L’année zéro est par exemple l’occasion de voir l’état de la civilisation en différents points du globe. Le récit se poursuit dans notre ère et touche à notre époque, l’apparition d’internet, les progrès de la science, l’accumulation des drames humains au cours de l’Histoire, et dans le même temps, la transmission des générations.
Une oeuvre très dense donc, aux dessins superbes et à l’ambition qui recherche l’excellence, et dont l’approche en tant “qu’interprétation artistique des connaissances scientifiques” doit pouvoir ouvrir, pour reprendre l’injonction d’Abraham Heschel, sur un questionnement de l’identité humaine comme dépassement de données en apparence objectives.
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[…] y a matière à tracer un lien avec le Grand récit de Jens Harder, mais en version humoristique tout de même ! Peut-être le volume qui à ce jour […]