Ulysse & Cyrano de Dorison, Cristau, Servain
Ulysse & Cyrano est de ces titres auxquels il est difficile d’échapper, tant la signature de son auteur – ici Xavier Dorison – fait autorité et occasionne un bouche à oreille des plus favorables. Sorti en juin dernier, habillé de tonalités qui vont bien avec la période ensoleillée, la chaleur de sa coloration fut des plus appréciables en ce début d’année. Vraiment très bien, sans être exceptionnel, un livre feel good qui fait bien le job.
Ulysse, fils unique issu d’une famille bourgeoise, prépare son bachot dans les années 50 et son XVIè arrondissement parisien. Son père a déjà décidé d’un avenir tout tracé pour lui : la reprise des affaires familiales. Mais lorsque la justice s’intéresse aux activités de son entreprise lors de la toute récente seconde guerre mondiale, en plein esprit épuration, Ulysse et sa mère partent se réfugier à la campagne quelques temps, pour échapper à pression journalistique. C’est là que le jeune garçon fait la connaissance de Cyrano, dont la personnalité et la pratique de l’art de la cuisine percutent frontalement les plans bien bâtis en famille. On suit avec plaisir cette histoire d’amitié et de transmission qui unit un chef cuisinier et son élève inattendu, venu ravivé et donc aidé à guérir des blessures du passé.
On sent à quel point Dorison maîtrise son histoire et le timing opportun en même temps que fluide de ses rebondissements. Ici, tout cela est savamment dosé, pour donner à cette vie à la campagne et aux expériences culinaires une touche de réalisme, rendant ce voyage dans le temps particulièrement crédible et accrocheur. Les personnages, premiers comme secondaires, répondent à des archétypes parfaitement assemblés, avec mise en miroir efficace des enjeux des deux protagonistes qui donnent leur nom à l’ouvrage. Ulysse est véritablement celui de l’Odyssée, en ce sens qu’il entreprend “un beau voyage”, celui qui conduit à la Liberté. Cyrano est véritablement comparable au personnage d’Edmond Rostand, courageux, tête de mule et poète à la fois.
En toile de fond, la cuisine est prétexte à traiter des problèmes liés à la paternité et à la transmission entre les générations, du devenir d’un héritage, que celui-ci soit économique ou symbolique, culturel. Ulysse et Cyrano font, de ce point de vue, face à des problématiques en miroir : le premier en face de son père ; le second en face de son fils spirituel. Le jeune garçon évolue d’une position dans laquelle il admet son destin familial, quitte à endosser un rôle qui ne le réjouit en aucune façon mais qui mobilise son sens des responsabilités, à une situation de découverte d’une passion qui lui impose une nouvelle réalité : l’impossibilité de tenir ensemble respect de l’ordre des choses voulues par son père et aspiration à devenir qui il souhaite. Confrontation inévitable. Le vieux chef Cyrano, célibataire endurci ayant vécu la cuisine comme un sacerdoce, doit quant à lui régler son contentieux avec son fils spirituel, Lecocq, devenu un chef parisien renommé, en même temps qu’il s’engage un peu sans le vouloir à adopter un nouvel apprenti en la personne d’Ulysse.
BD feel good, sorte de croisement entre le Cercle des Poètes Disparus, le Grand Chemin, Whiplash et les Femmes du Sixième Etage mais dans une cuisine, Ulysse & Cyrano, c’est d’abord la signature solide de Dorison, épaulé pour la partie culinaire de Cristau, servi par un dessin gourmand de Servain. Cela fonctionne à merveille, sans pour autant être exceptionnel. Mais fonctionne vraiment à merveille !
Attention livre qui file la dalle. On serait presque tenter de se lancer dans les quelques préparations détaillées en fin d’ouvrage !