Histoire de l’autre, Israël-Palestine
Histoire de l’autre, c’est la rencontre entre chercheurs et enseignants en Histoire (mais pas seulement) israéliens et palestiniens, qui décident, en pleine deuxième Intifada, de travailler ensemble à Jérusalem à un manuel d’Histoire qui mettrait face à face les narratifs historiques des deux camps. Au milieu de la période tragique que connaissent actuellement ces peuples, une lecture comme une bougie dans l’obscurité.
Court livre d’une centaine de pages, complétées d’un glossaire rédigé par les auteurs et d’une préface de David Chemla et d’une postface d’Elie Barnavi, Histoire de l’autre est un Objet Lisant Non Indentifié. Un mode d’emploi indique au lecteur la façon de le lire : pages paires pour le narratif israélien ; pages impaires pour le narratif palestinien. L’édition originale, telle que pensée par les auteurs, prend la forme d’un manuel avec les deux récits sur les côtés et une colonne blanche au milieu, sur laquelle les étudiants pourraient prendre des notes (voir ici).
Histoire de l’autre est un projet de l’association PRIME – Peace Research in the Middle East – s’appelle en anglais Learning Each Other’s Historical Narrative, ce qui insiste sur la dimension narrative de l’initiative. Le but n’est pas d’organiser la confrontation de l’Histoire académique de l’un et l’autre camp, mais bien plutôt de mettre en regard le récit tel qu’on se le raconte dans chacun des deux camps. C’est une précision qui semble relever du détail, mais qui a toute son importance pour la bonne lecture du livre : à titre personnel, j’ai repris la lecture de ce petit volume depuis le début après être trop rapidement rentré dedans.
Petit par la taille, mais dense par le contenu. La construction du livre invite à la lecture de l’un puis de l’autre, autant qu’à la lecture de l’un en même que l’autre des récits. Obligé d’admettre que cela est dérangeant, tant le récit du premier est le négatif du second et inversement, naturellement.
Le projet fut initié par le professeur palestinien Sami Adwan, spécialiste des sciences de l’éducation, et le psychiatre israélien Dan Bar On, qui enseigne la psychologie à Tel Aviv et Beer Sheva : compréhension de la pensée et formation des esprits sont au coeur de cette tentative de désarmer la partie verbale du conflit, celle qui donne les raisons intellectuelles, culturelles, idéologiques de rendre le combat incessant.
Pour leur projet, ils ont recruté deux équipes de six enseignants d’Histoire, israéliens et palestiniens, avec pour mission de travailler, chacune de leur côté, à décrire trois événements historiques du point de vue de leur camp : la Déclaration Balfour de 1917, la Guerre d’Indépendance ou la Nakba de 1948, la première Intifada de 1987. Leur travail a donné lieu à une première édition de ce manuel scolaire en 2002, en pleine deuxième Intifada.
J’ai découvert ce livre à l’occasion d’un post de Johann Sfar qui en recommandait récemment la lecture. Je l’ai lu de plusieurs manières, séquentielle puis croisée. Je ne peux que reconnaître le fait que la lecture du récit palestinien m’a fait réagir, au début, négativement : “mais non, c’est pas ça qui s’est passé”, “mais non, c’est injuste de regarder cela ainsi”, “mais non…” Idem, au cours de la lecture du récit israélien, les réactions spontanées inverses m’ont fait réagir, voire même porté à une indulgence de supériorité : “nous sommes capables de reconnaître quand on déconne”, “ils doivent comprendre que…” Et puis, j’ai repris la lecture du début, comprenant mieux, grâce au titre anglais, l’ambition de l’ouvrage, celle d’offrir un peu de son temps et de son attention à la narration de l’autre.
Comment fait-on la paix ? La période actuelle semble avoir rendu la question inutile. Pourtant l’Histoire de la zone a déjà montré des retournements impensables après le drame. Ce qui est sûr néanmoins, c’est que la paix se fait entre ennemis, entre gens qui ne peuvent pas se voir. Mais peuvent-ils s’écouter ? C’est la question que pose ce petit livre, qui invite à commencer par prêter, ne serait-ce qu’un peu, l’oreille à ce que celui d’en face a à dire. L’initiative de PRIME est une pierre posée dans cet édifice fragile.