Mémoires et A l’échelle humaine de Léon Blum
C’est l’écoute du podcast de France Inter qui lui était consacré, produit et animé par Philippe Collin, qui m’a donné envie de lire Blum. Editées chez Archidoc, ses mémoires – rédigées en septembre 1940, lors de sa détention au Château de Chazeron dans le Puy de Dome – sont suivies de son essai A l’échelle humaine, terminé en décembre 1944 alors qu’il est interné à Buchenwald. Témoignage d’un démocrate, amoureux de son pays, conscient des enjeux politiques et historiques de son temps ; récit d’un homme de lettres, intellectuel, honnêtement lucide sur son époque et son parcours.
Lecture en deux parties donc, mémoires et essai. Les mémoires tout d’abord constituent une synthèse des événements qui ont directement précédé la débâcle française de juin 1940 et les errements politiques et géographiques du gouvernement français qui s’en suivirent, entre Bordeaux et Vichy. On y suit “caméra à l’épaule” Léon Blum de France en Angleterre, de Paris à Montluçon, de Paris à Bordeaux, puis à Vichy. On y côtoie les personnalités des formations gouvernementales de la IIIè, les élus des Chambres et l’on écoute le chef socialiste narrer les hésitations, le moral abattu, la comparaison avec 1914, le piège tendu à la France par Hitler se mettre en place et se refermer sur elle entre les mains de Laval et Pétain.
A l’échelle humaine ensuite est d’une autre nature. Réflexions sur un temps long, elles sont une lettre à la jeunesse, commencée en captivité en septembre 1940 et terminée près du camp de Buchenwald par un homme qui se sait condamné. Le texte est à comprendre dans le contexte du procès de Riom (août 1940 – avril 1942, non achevé), voulu par le maréchal Pétain comme un moment médiatique d’incrimination des véritables responsables de la défaite française de 1940, les politiques de la IIIè République et plus spécifiquement les leaders du Front Populaire, Léon Blum en tête. Ce dernier adopte une posture de défense offensive, s’appuyant sur son savoir faire de juriste et son excellente connaissance des dossiers pour mettre en évidence l’inconsistance de l’accusation.
Dans ce court essai, il invite la jeune génération de France à ne pas se tromper de colère : si la IIIè République a ses défauts et que les politiques, lui y compris, portent une part de responsabilité dans le manque de crédit des institutions, la conquête du suffrage universel doit être sauvegardée à tout prix dans le pays qu’il faut à présent reconstruire. Ainsi pourrait se résumer le message central de cet écrit en forme de testament politique, indiquant à ceux qui doivent reprendre le flambeau du combat démocratique le chemin à suivre.
Un autre aspect ressort fortement du texte de Blum, c’est sa lecture socialiste des raisons de la défaite française, qu’il attribue à la faillite politique et morale de la bourgeoisie. Cette dernière incarnait la classe dirigeante, disposant de tous les leviers de pouvoir dans l’entre deux guerres, politiques, économiques, industriels. Selon lui cette bourgeoisie n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités et a pris son cas de classe pour une généralité nationale, en estimant insoutenable l’effort à consentir que demanderait une nouvelle guerre avec l’Allemagne et voyant dans le communisme un danger plus grand que le nazisme. Blum développe également une critique sur les pacifismes de droite et de gauche, accusant les forces politiques d’avoir sous estimé ce que certaines voix militaires, parmi lesquelles celle de de Gaulle, avaient tenté de faire valoir : l’armée française, encore auréolée de sa victoire de 14, est en réalité dépassée dans son équipement et sa doctrine.
Ces derniers temps, j’ai eu tendance à m’intéresser à l’Histoire sous un angle “scolaire”, accompagné de manuels (cf. l’excellent travail de renouveau de la collection Histoire de France de Belin, dont la République imaginée qui traite de la naissance de la IIIè République) ou de supports produits par des historiens (cf. la très bonne chaîne d’Histony, dont je vous invite à découvrir le travail). La lecture des écrits de Blum représente donc une touche toute personnelle, sous forme de témoignage à hauteur d’hommes qui a vécu les événements, et dont l’expérience (il est alors âgé de 68 ans au moment de la rédaction des mémoires) l’autorise à analyser, avec acuité et à chaud, la tragédie que vit alors la France. Ces écrits témoignent également d’une façon de raisonner et de consigner un propos avec des formules et une langue qui appartiennent à un temps passé, pré-technocratique pourrait-on dire.
Les mémoires forment un récit quasi haletant, tant l’on voit en direct le noeud se nouer, nous, lecteurs qui connaissons la suite de l’histoire. A l’échelle humaine, comme toutes les lectures au sujet de la IIIè République et de l’entre deux guerres, a cette sonorité étrange et gênante des résonances avec une actualité peu réjouissante : la colère domine chez des électeurs en recherche de sécurité, prêtant le flan au populisme, et l’on perd de vue les acquis et leur coût. Saine lecture et rappel des enjeux constants pour qui désire la paix et la démocratie.
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A voir sur le sujet : la discussion, enregistrée pour la Fondation Jean Jaurès en avril 2021, entre Milo Lévy-Bruhl, doctorant en philosophie politique (EHESS), et Benoît Kermoal, historien, chargé du pôle « histoire sociale » à Unsa-Éducation pour comprendre les arguments de Léon Blum développés dans son essai et la perspective historico-politique dans laquelle son écrit s’inscrit.