Témoignage et réflexions suite aux massacres du 07/10

Au lendemain des massacres du 07/10, j’ai pris le parti de discuter en messagerie privée avec ceux de mes contacts sur les réseaux sociaux que je voyais partager des contenus, sinon indécents, relevant à tout le moins de l’illogisme, y compris parmi d’anciens collègues chercheurs – et donc professionnels de la causalité – de l’INRA où j’ai commencé ma carrière. Ayant durant un certain nombre d’années beaucoup fréquenté les milieux du street art parisien, où il est de bon ton d’être mélenchoniste et de faire du shaming du vote Macron (car c’est exactement la même chose que de voter pour le RN), ce sont des personnes rencontrées dans le cadre de cette activité qui m’ont donné à voir en direct les messages les plus problématiques, et ce, dès le jour de l’annonce des massacres.

Dans ces discussions en messagerie privée, je me suis imposé, autant que faire se peut, une discipline d’argumentation froide et analytique, reposant sur ce que l’on sait de l’Histoire, en indiquant au besoin mes propres incertitudes sur certains aspects que je maîtrise moins, tout en essayant de mettre en évidence ce qui ne tenait pas dans le discours et le raisonnement de mes interlocuteurs.

Je puis honnêtement dire mon étourdissement devant la moyenne des réponses reçues, qui font mentir tour à tour l’Histoire, le Droit International, l’information et, in fine, l’Humanité. Une fausse soupe intellectuelle, dans laquelle des raisonnements appuyés sur de pseudo-sciences sociales, en vogue dans de nombreux domaines ¹, décrivent la domination nécessaire, systématique, des uns vis à vis des autres, victimes éternelles non blanches des prédateurs blancs colonisateurs, et prennent le pas sur toutes possibilités d’étude et de discussion de l’Histoire, sur toutes possibilités d’une réflexion raisonnable, apaisée. Dans le cas du conflit proche oriental, et de façon saisissante depuis les attentats perpétrés par le Hamas le 07/10, cette impossibilité d’une voie par la raison désigne l’antisémitisme comme explication incontournable. Les manifestations de cette haine, modernisée sous les traits accusateurs de l’antisionisme, semblent appartenir à la normalité de l’expression libre dans l’espace médiatique globalisé.

Exemples de discussions en messagerie privée

Une jeune femme, infirmière de métier, que j’avais rencontrée sur Instagram par notre intérêt commun pour le street art, et qui depuis de nombreuses années a la gentillesse de nous souhaiter à ma famille et à moi-même ses vœux pour Hanouka ou Pessah, publiait ad nauseam en stories, et ce dès le 07/10 et l’annonce des attentats perpétrés par le Hamas, et donc avant la réponse militaire israélienne, toutes les photos de liesse de la rue arabe, en Tunisie, au Yemen, en Syrie, ainsi que les dessins de presse odieux que l’on pouvait trouver dans certains media iraniens. Elle relayait encore de nombreuses videos filmées par un jeune homme musulman, expliquant que les media occidentaux étaient des outils de manipulation aux mains des puissants et qu’il ne fallait surtout pas croire. Elle indiquait à chacune de ces stories qu’il ne servait à rien de venir discuter avec elle pour tenter de la convaincre que ce n’était pas la vérité. Nombreuses de ses publications reprises en stories émanaient de comptes pro-palestiniens, qui reprenaient avec insistance une résolution de l’ONU ². Cette résolution prévoit “le droit inhérent des peuples coloniaux de lutter par tous les moyens nécessaires contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance”. Ce texte était interprété en l’espèce comme l’absence de limites et de cadre légal au recours à la violence dans la lutte armée menée par un peuple opprimé contre un colonisateur, ce qui, selon mon interlocutrice et les personnes relayant cette référence du Droit International, justifiait en droit les massacres perpétrés le 07/10³. Elle venait dans le même temps me dire en message privé : “Quand cesseront toutes ces horreurs ? Que Dieu nous vienne en aide, inch Allah”.

Sous un post féministe sur Instagram (vers le 08/10), qui proposait de faire la distinction entre antisionisme, antisémitisme et islamophobie, il y avait de très nombreux commentaires particulièrement violents. On pouvait notamment y lire les propos de féministes, qui expliquaient que les attaques du 07/10 et les viols perpétrés ne relevaient pas d’un problème concernant le féminisme dans la mesure où ces personnes avaient sciemment, librement choisi d’appartenir à une entité colonialiste, ce qui prenait le pas sur tout le reste⁴⁵.

Une jeune femme qui a monté une association autour du street art dans l’Est parisien, extrême gauchiste convaincue et affirmée, a relayé un post devenu viral dès le 07/10 (et donc avant la réponse militaire israélienne) dans lequel une infographie montrait comment, dans une logique de flowchart bien huilée, ce sont les Palestiniens qui étaient les véritables victimes de cette actualité des massacres commis en Israël, que les media occidentaux préféraient mettre en avant plutôt que leurs souffrances. Après discussion en messagerie privée, dans laquelle je lui faisais remarquer qu’en l’occurrence les massacres étaient étendus, cruels, impliquant viols, humiliations des femmes, des enfants dont des bébés, des personnes âgées, jeunes gens brûlés vifs, et de nombreuses prises en otage, elle m’a demandé de bien vouloir l’excuser de ce repartage hâtif, car, m’expliquait-elle, “les élites ont tellement l’habitude de chier à la gueule des Palestiniens”, qu’elle n’avait pas pris le temps de réfléchir avant de relayer le post. Elle concluait en indiquant qu’elle n’était “plus que colère” dès lors qu’elle en venait à considérer la politique chez nous.

Un jeune homme, chercheur, LFIste ouvert et assumé, dont le compte Facebook relaye habituellement des contenus en lien avec son travail de microbiologiste et des publications d’ordre politique au moment des élections présidentielles françaises, s’est mis à publier dès le début de la réponse militaire israélienne des articles dénonçant la violence de celle-ci. Il pointait notamment le risque de nettoyage ethnique exprimé par une juriste, Francesca Albanese, travaillant auprès de l’ONU⁶ et dont les positions font l’objet de sérieux doutes quant à son objectivité⁷. J’ai engagé dans les commentaires de ses publications (somme toute très confidentielles, relevant donc quasi de la messagerie privée) un échange dans lequel il renvoyait dos à dos les massacres du 07/10 et la destruction à Gaza qui s’en est suivie, refusant la qualification de terrorisme pour les actes du Hamas au motif que l’armée israélienne elle aussi pratiquait un terrorisme sur les populations palestiniennes, se retranchant pour cela derrière un article de la BBC⁸, qui justifiait sa décision éditoriale de ne pas utiliser cette catégorie pour le Hamas. Notre discussion a, je pense, mis en évidence le fait que ses affirmations ne reposaient sur aucun argument historique et/ou politique solide, voire même témoignaient d’une ignorance de l’Histoire et de la réalité de la situation sur place. Mon interlocuteur invoquait notamment à l’appui de son argumentation “quelques chercheurs israéliens” rencontrés en conférence scientifique, avec lesquels il avait discuté et qui s’étaient montrés critique à l’égard de leur gouvernement. Il laissait à cette occasion transparaître une forme de naïveté devant la découverte qu’Israël est bien une démocratie où la liberté d’opinion est une réalité.

Plus inquiétant je trouve pour un chercheur senior, aux travaux publiés : à l’appui d’un de ses arguments, il me partageait un article auquel il disait adhérer. Il s’agissait d’un papier⁹ dans lequel Judith Butler, professeur de gender studies à Berkeley, personnalité juive critique du sionisme (ce qui constituait indéniablement de son point de vue un renfort de sa puissance argumentative), élaborait une explication en lien avec les massacres du 07/10. Le but de sa démonstration visait à démontrer de façon systématique qu’Israël est axiomatiquement en tort et de ce fait responsable de la violence dont il est la cible. Après avoir simplement fait le constat d’un manque de base argumentative logique (son propos reposant sur le simple énoncé d’un état de fait affirmé mais non démontré) et d’appuis historiques pour justifier ces affirmations alors même qu’elle convoque l’Histoire à l’appui de son propos (voire même fait mentir l’Histoire, notamment sur le fait que la guerre de 1948 avait été initiée par les Etats arabes), mon interlocuteur n’a pu que reconnaître la faible portée de cette référence, sans pour autant en tirer les conséquences logiques quant à une appréciation de la situation en cours.

Trois éléments que je retiens et réflexions quant à leur portée sur les scènes politiques nationales et internationales

Il me semble important de signaler que je trouve plusieurs dimensions dérangeantes dans les discussions que j’ai eues.

Je suis tout d’abord perturbé par le degré facile à évaluer d’ignorance manifeste et généralisée de mes différents interlocuteurs au sujet d’Israël, de sa population, de sa culture¹⁰. Cette ignorance s’étend également au conflit avec les Palestiniens, à la nature du Hamas¹¹, et à la façon toute ambivalente qu’a le monde arabo-musulman de regarder ce conflit, traversé qu’il est par des lignes de partage religieuses et politiques, façonnant des enjeux régionaux complexes¹². C’est au final un mépris de l’Histoire et du travail historique qui se donne à voir ici. La démocratisation de la prise de parole en ligne agit par ailleurs comme un facteur aggravant des éléments évoqués précédemment : le sens et la portée juridique à accorder à des mots tels que “génocide”, “terrorisme”, “crimes de guerre”, “nazi”, “colonialiste”, “réfugié”¹³ sont purement et simplement vidés de leur substance. Ces vocables en coquille vide autorisent les pires réécritures de l’Histoire sous forme d’inversion : dans ce discours haineux en ligne, les Juifs seraient aujourd’hui devenus ceux qui les persécutaient hier.

En aucune façon cette ignorance n’empêche-t-elle l’expression d’une opinion forte ou faussement nuancée, rappelant par certains aspects les commentaires non éclairés des antivax en période COVID ¹⁴¹⁵. L’inverse même est en train de se produire : l’ignorance fait l’aplomb ! Cela va de pair avec une mémoire (méconnaissance ?) sélective dans laquelle des faits comme ceux répertoriés ci-dessous à titre d’exemples peuvent purement et simplement passer à la trappe (au mieux), voire rendre possible, lorsqu’ils sont rappelés, une accusation de tentative de détournement d’attention des “vrais problèmes” (au pire) :

le massacre de sa population par le régime Assad en Syrie qui a tué 500 000 personnes depuis 2013¹⁶, et qui a fait également de nombreuses victimes palestiniennes, à savoir 4 000 morts et plus de 100 000 personnes déplacées¹⁷,
le massacre de Chrétiens au Nigeria par des forces islamistes qui ont tué 50 000 personnes depuis une quinzaine d’années¹⁸,
les massacres pratiqués par des forces arabes soudanaises au Darfour, liés à la guerre des généraux qui a éclaté en avril 2023, qui a fait 9 000 morts en quelques mois, avec une intensification en septembre-octobre 2023¹⁹
la guerre qui déchire depuis 2014 le Yemen²⁰²¹, devenu le terrain d’affrontements entre Arabie Saoudite et Iran, et qui dans l’indifférence générale a tué près de 375 000 morts du fait des hostilités et de la famine,
la répression féroce de toute opposition et les menaces pesant sur le droit des femmes en Iran²²²³,
les menaces pakistanaises d’expulsion, avec ultimatum à fin octobre 2023, concernant plus de 2 000 000 d’Afghans, dont 600 000 avaient fui le régime Taliban en 2021, et les départs massifs de 165 000 Afghans en octobre 2023²⁴²⁵.

Difficile d’échapper à un constat d’hypocrisie et de pratique aveugle du double standard quand il en vient au traitement médiatique du conflit israélo-palestinien et aux réactions disproportionnées qu’il engendre. Comprenons-nous bien : ce conflit, sans doute l’un des plus longs dans l’époque moderne, est bien dramatique et les souffrances qu’il génère des deux côtés sont insupportables pour une conscience humaniste. Mais il est et reste un drame au milieu de nombreux drames, qui eux ne parviennent pas à susciter l’émoi international. Ici, le conflit occasionne un déchaînement de haine primaire, amalgamant au passage Israël et Judaïsme, ce qui donne sa forme à l’antisémitisme d’aujourd’hui.

Néanmoins, ce sont finalement deux autres aspects que l’on devine dans ces discussions, qui retiennent le plus mon attention. En premier lieu, un refus, conscient ou non, de faire le lien entre ce qu’il se passe là-bas et les répercussions ici, négligeant et minimisant par exemple le meurtre de Dominique Bernard à Arras²⁶ ou la décomplexion de la parole antisémite. Or les lignes bougent dans notre société et naturellement, comme pour le COVID à nouveau, ce sont les crises qui mettent en évidence les distances parcourues.

En l’occurrence, il me semble que les trois grandes forces politiques de notre pays se retrouvent dans des situations inédites sur la question de l’antisémitisme. Cette situation se caractérise par une extrême droite / droite populiste devenue envisageable comme une voie électorale pour certains membres de la communauté juive de France, tendance qui, même en l’absence d’étude d’opinion solide sur le sujet, connaît un écho sensible²⁷. Cela représente un comble au vue de l’Histoire de cette mouvance politique en France, dont le recours à la parole antisémite constitue un élément de constance, qui n’a que récemment été officiellement remis en cause au FN devenu RN²⁸. C’est ensuite un bloc républicain traditionnel girouette, soucieux de préserver une paix sociale fragile et sous tension. De ce point de vue, l’absence du Président Macron lors de la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023²⁹ signe un aveu de grande difficulté à tenir le cap dans une période de division du pays. Enfin, la crise proche-orientale met en évidence le malaise d’une gauche en pleine déconfiture morale³⁰. Sa frange populiste, la France Insoumise (LFI), devenue son premier et quasi unique représentant audible dans l’espace public, poussée par un clientélisme électoral à peine masqué³¹, a contribué³² à ouvrir la boîte de Pandore d’une parole antisémite décomplexée ³³, quand bien même ce faisant, elle se serait sabordée³⁴. En témoigne l’explosion des actes antisémites sur notre territoire depuis les massacres du 07/10³⁵.

Cet aspect ne peut que renforcer, me semble-t-il, le caractère irresponsable de l’usage des réseaux sociaux tel que décrit dans les exemples ci-dessus rapportés. La conjonction de l’ignorance, de la malhonnêteté intellectuelle et de la dictature de l’émotion ne peut aboutir qu’à une dégradation supplémentaire de notre débat public. Nous assistons à la disparition de toute possibilité d’une analyse raisonnable, de la saine discussion des situations et de leurs enjeux, ce qui pose, in fine, la question de la viabilité de notre démocratie. Il me semble qu’il résulte de ces deux points une survalorisation de l’empathie comme outil d’analyse de l’actualité, qui agit en réalité comme renfort du biais de confirmation. Tout se réduit, se pense à partir de la circulation à haute fréquence d’images terribles des victimes israéliennes et palestiniennes, de citations d’autorité de référents moraux iconiques, de raccourcis historiques dangereusement manipulatoires, qui ne peut que conduire à une logique funeste d’opposition des camps, comme on choisit de soutenir telle ou telle équipe pour un match de foot. Un paradoxe se noue dans cette tragédie de l’irréconciliable : chacun professe sa haine et sa peur du voisin, en même temps qu’il lui demande ce qu’il a fait de son coeur. Et ainsi s’accentue la dérive des îlots fragmentés de notre société.

En second lieu, la signification de ces événements échappe dans ces discussions à toute lecture géopolitique et ses implications pour notre pays, pour l’Europe et le monde libre occidental. Si nombre de ces échanges ont été initiés dans le milieu du street art, par exemple, aucun n’a commenté au-delà du buzz l’apparition des tags d’étoiles de David dans Paris et ses environs, autrement que sous les angles de l’indignation pour les uns et de “les media crient au loup” pour les autres. Or l’arrestation d’un couple moldave³⁶, qui a fini par reconnaître auprès des enquêteurs qu’ils avaient réalisé ces tags à la demande d’un tiers russe, ne fait que confirmer l’existence d’ennemis puissants qui recherchent la déstabilisation de nos sociétés. Cette opération fut immédiatement dénoncée par le Quai d’Orsay comme ingérence par le Kremlin³⁷, familier de ce type de pratiques³⁸³⁹⁴⁰. En l’occurrence, Moscou exploite au service de sa propagande et à des fins de déstabilisation dans le contexte de sa guerre en Ukraine débutée le 24 février 2022, un des points de tension des sociétés où se côtoient d’importantes communautés touchées par le conflit proche-oriental, faisant de la France une cible de choix⁴¹. Pour le dire autrement, l’Ukraine n’est rien en soi ; Israel n’est rien en soi ; il y a ici à considérer le fait que la fin de l’Occident comme structurant les normes des relations internationales est le but de guerre avoué d’un bloc des forces anti-occidentales, dont le leadership est tenu par la Russie⁴², la Chine⁴³ et l’Iran⁴⁴.

Ici, il me semble, qu’à la faveur d’un ethnocentrisme tout occidental⁴⁵, caractérisé en Europe par une inexpérience de la guerre sur son sol, une paix et une relative sécurité sur son territoire qui doit tout à l’Alliance Atlantique⁴⁶, notre génération accuse une innocence coupable quant aux risques posés par ses ennemis : nous avons une impossibilité intellectuelle et morale chronique à concevoir l’existence d’ennemis authentiques, qui s’estiment en guerre avec et contre nous. De ce point de vue, la guerre en Ukraine constitue une claque qui marque un réveil douloureux devant la réalité d’un monde violent, et qui n’a jamais cessé de l’être. Cela se traduit, comme depuis le début du projet européen, par une puissance internationale politiquement limitée, qui a fait le pari d’un soft power économique et culturel sans capacités de dissuasion réelles⁴⁷. Cet ethnocentrisme est encore défini par une incapacité acquise et cultivée à envisager la religion comme facteur politique et géopolitique structurant⁴⁸.

Ces aspects, rapportés au contenu des discussions décrites ci-dessus, confine au constat impuissant d’un paradoxe dont les lignes apparaissent de plus en plus clairement : il existe dans notre société plusieurs franges de l’opinion qui, prenant appui sur une liberté d’expression totale, garantie légalement et conçue sans limite, expriment, objectivement et involontairement (au mieux) sinon sciemment (au pire), un alignement de facto avec les intérêts des forces ennemies de notre modèle de société. Ceci est une réalité qui s’observe invariablement à l’occasion des différentes crises, déni climatique et de ses conséquences dévastatrices, COVID, Ukraine, Proche Orient, chacune selon ses audiences de choix. Ce paradoxe se nourrit de capacités de communication en ligne à la disposition de tout à chacun, bâties sur des logiques de viralité, et dont le fonctionnement algorithmique, qui décide de la structuration et du contenu de l’information distribuée, est une boîte noire qui appartient au secret d’entités économiques privées principalement américaines⁴⁹. Le résultat est une guerre de l’information asymétrique, dans laquelle nos ennemis recherchent la manipulation et la confusion de nos opinions publiques, par la fragmentation en communautés d’intérêts particularistes obtenue en appuyant sur les lignes de fracture idéologiques, et ce sans état d’âme éthique, dans le but de casser les capacités morales d’unité nationales du camp occidental⁵⁰. Ils pratiquent pour cela une intoxication par la production-diffusion massive de contenus comme arme culturelle complémentaire des forces conventionnelles, tout en étant eux-mêmes, du fait de l’absence d’un véritable régime de liberté d’opinion, immunisés contre ce type d’attaques. Cette approche guerrière se révèle fructueuse et aboutit à la situation curieuse, qui veut que l’Occident se retrouve seul accusé de realpolitik et ses institutions enlisées dans une crise de confiance citoyenne, manifestée à travers tout le spectre des tendances politiques, religieuses, culturelles, nationales.

Mise en perspective sur une note personnelle

Leon Poliakov⁵¹, historien, a écrit un livre terrifiant qui s’appelle le bréviaire de la haine. Une des premières tentatives de rassembler, quantifier, qualifier la destruction des Juifs d’Europe. Il y rapporte une anecdote. Un nazi en charge du passage en revue des livres confisqués aux Juifs et rassemblés en une géante bibliothèque-hangar en Allemagne, tombe par hasard sur une feuille manuscrite dans un volume. La personne qui l’a écrite dit en gros ceci : “l’Homme nazi est comparable à une personne malade qui est allé voir son médecin en lui disant ‘Docteur, j’ai mal à la tête, soignez-moi’, ce que le médecin fit en lui amputant la tête qu’il remplaça par une tête de bois.” Il me semble que c’est ce dont nous sommes les témoins. Cela m’évoque Raymon Aron⁵², qui disait qu’il ne pouvait s’empêcher de penser au fait qu’il était Juif – question qui ne l’avait jusqu’alors jamais particulièrement gratté – après avoir vu en Allemagne, à Berlin, en 1933, l’expression ouverte de la haine.

Humainement, après des semaines à constater une décomplexion évidente de la parole antisémite globale à la suite des attentats du 07/10 s’exprimant en ligne, sur fond d’antisionisme virulent, j’ai décidé de couper mon compte Instagram et de grandement limiter mes usages de Facebook et X/Twitter. Je dois dire que ce que j’y ai vu, lu, entendu me conduit à penser que l’atmosphère doit ressembler à ce que mes grands-parents et leurs contemporains ont connu dans les années 1930. Naturellement, un effet grossissant des media, des réseaux sociaux en particulier, existe. Néanmoins, depuis la rue arabe⁵³ jusqu’aux campus US⁵⁴, la parole antisémite se libère. Elle semble si banale que l’on peut voir apparaître le plus normalement du monde la bêtise, voire la cupidité, que notre économie numérique favorise⁵⁵, la banalisation et, in fine, l’institutionnalisation⁵⁶⁵⁷ de cette haine millénaire. La séquence actuelle confirme un état de fait observé⁵⁸⁵⁹, en France et à travers le monde⁶⁰, au sujet de l’expression antisémite des segments de la population gauchiste et/ou d’origine arabo-musulmane⁶¹⁶²⁶³⁶⁴, aux côtés du traditionnel antisémitisme d’extrême droite, lancée de son côté à cette occasion en France dans une opération de falsification de son histoire⁶⁵.

Cette parole antisémite se trouve, dans le contexte de la tragédie proche orientale née des massacres perpétrés par le Hamas le 07/10, encouragée en France par LFI, dont les positions affichent un alignement avec le mouvement islamiste, reconnu par ce parti comme un “simple” mouvement de libération nationale⁶⁶⁶⁷⁶⁸⁶⁹ ou le NPA (et par les mêmes forces à travers l’Europe⁷⁰). Une France Insoumise / extrême gauche aujourd’hui applaudie pour cela par Rivarol et Soral⁷¹, une prouesse pour l’Humanisme… La gauche partisane est épaulée par les idiots utiles que constituent dans ce contexte les forces propalestiniennes issues des mouvements féministes⁷², LGBTQ+, anticolonialistes ⁷³. Ces forces-ci refusent d’entendre qu’elles sont, au mieux, des alliés de circonstance de mouvements d’inspiration islamiste type Hamas⁷⁴. En témoignent les nombreuses sources facilement accessibles dans lesquelles les premières pointent du doigt Israël et les Juifs ⁷⁵, tandis que les secondes décrivent les mouvements LGBTQ+ comme des abominations⁷⁶⁷⁷⁷⁸ qui n’auront jamais leur place dans les territoires que leurs combats libèreront.

Nos familles, nos amis, nous-même traversons une période boule au ventre dans laquelle, soit du fait de l’expérience des pogroms slaves et de la Shoah, soit de par l’expérience de l’exil forcé des pays arabo-musulmans post 1948 ⁷⁹, chacun lit son inscription dans une mémoire familiale vivante et pourtant menacée à chaque pas. Et dans le même temps, il y a tout d’abord je dois le dire, cette culture incroyable de la Vie et d’orientation mentale vers le futur. Il y a là dedans des réflexes d’unité, alors même que le monde juif est en crise profonde depuis de nombreuses années, et des ressources d’humour et de chaleur humaine, qui sont assez étonnants.

J’ai également eu un grand nombre de discussions avec des contacts, qui avaient été enthousiastes de Mélenchon et de l’espoir social que ce dernier avait suscité au cours des deux précédentes campagnes présidentielles, et qui ont été simplement outrés par la position de la LFI en réaction au 07/10, confirmée par les propos ouvertement antisémites du leader d’extrême gauche dans les jours qui ont suivi. Je note enfin que, pour la première fois, j’ai reçu plusieurs messages d’amis non Juifs au lendemain des massacres perpétrés par le Hamas, exprimant sympathie et bienveillance, demandant si nos familles et amis sur place avaient été touchés. Fait qui démontre à mon sens à la fois la portée de l’effroi des massacres, et l’atteinte à l’Humanité qu’ils constituent, et en même temps une intuition forte que ce qui s’est passé là nous concerne tous.⁸⁰⁸¹

Mémoires et prières pour toutes les victimes des attentats du 7 octobre et pensées à ceux qui leur survivent ; prières pour toutes les victimes innocentes palestiniennes ; prières pour notre société et ses forces de Lumière.

Références

1
article de l’AFIS “Intrusions idéologiques en science : à propos de l’ouvrage Le Genre des sciences”, 2 Mai 2023
2
Résolution des Nations Unies 2621 XXV, du 12 décembre 1970
3
pour un commentaire éclairé de la possible interprétation problématique de cette résolution, voir la section “L’exercice du droit de résistance” p.8-10 in “Décolonisation et droits des peuples selon le droit international”, article de Anne-Hélène Béranger, paru dans Le Genre Humain, 2005
4
fiche Wikipedia, marquant ainsi une filiation idéologique avec la conférence de l’ONU de Durban de 2001
5
pour la polémique antisémite qu’a suscitée la conférence de Durban, on se réfèrera à l’article paru dans the American Jewish Yearbook, “Demonization in Durban: The World Conference Against Racism”, 2002
6
tweet du compte UN_SPExperts, 14 Oct. 2023
7
voir rapport de UN Watch
8
article de la BBC, Why BBC doesn’t call Hamas militants ‘terrorists’, 11 Oct. 2023
9
article de la London Review of Books, ‘The Compass of Mourning‘ de Judith Butler, 19 Oct. 2023
10
pour faire l’expérience d’un point de vue israélien moyen, voir les videos de Travelling Israel
11
article de Philosophie Magazine, Quelle est l’idéologie du Hamas ?, 30 Oct. 2023
12
pour ces aspects, voir la conférence de Benny Morris de 2017, dont les travaux sur la guerre de 1948 font autorité, au sujet du problème des réfugiés palestiniens
13
notamment les spécificités du statut de réfugiés appliqués aux Palestiniens (fiche Wikipedia), son agence onusienne dédiée l’UNRWA (fiche Wikipedia), le rôle trouble de cette dernière en matière d’éducation (question au Parlement Européen), y compris dans les événements en cours (rapport UN Watch), et sa corruption (article du Washington Post)
14
cf. fiche Wikipedia effet Dunning-Kruger
15
le Tracts Gallimard d’Etienne Klein intitulé le Goût du vrai (2020) ou sa conférence de présentation
16
fiche Wikipedia sur la Guerre civile syrienne, section “Bilan humain”
17
fiche Wikipedia sur les Palestiniens en Syrie, section “Situation récente”
18
article Vatican News, Over 50,000 Christians killed in Nigeria by Islamist extremists, 17 Avr. 2023
19
fiche Wikipedia sur le Conflit soudanais de 2023, section “Bilan humain”
20
épisode du Collimateur, Yemen, la guerre sans issue, 2021
21
fiche wikipedia Yemeni civil war (2014-present)
22
fiche Wikipedia sur Narges Mohammadi, prix Nobel de la Paix 2023
23
article de The Conversation, Où en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?, 25 Oct. 2023
24
article RFI, Le Pakistan va commencer à expulser les réfugiés sans papiers, les Afghans vivent dans la peur, 1 Nov. 2023
25
article RFI, Pakistan: plus de 165 000 migrants afghans ont quitté le pays pour rentrer dans leur pays en octobre, 2 Nov. 2023
26
article France 24, Attaque d’Arras : après le choc, les écoles rendent hommage au professeur tué, 16 Oct. 2023
27
article La Croix, Éric Zemmour, le candidat qui trouble la communauté juive, 24 Fév. 2022
28
émission de France Inter, Le Pen, l’obsession nationale, 2022
29
article France Info, Marche contre l’antisémitisme : pourquoi l’absence d’Emmanuel Macron est critiquée, 12 Nov. 2023
30
article The Conversation, Comment les divisions sur le conflit israélo-palestinien montrent les faiblesses de la gauche, 16 Oct. 2023
31
tweet du compte officiel de la LICRA suite aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon, leader de LFI, lors du rassemblement pro-palestinien du 22 Oct. 2023
32
a continué de contribuer en réalité, tant les précédents sont nombreux qui forment ensemble un faisceau d’indices – exemple 1 : article de France Inter, Mélenchon admet qu’il s’est “mal exprimé” après ses propos sur le judaïsme et Zemmour, 30 Oct. 2021 – exemple 2 article France Bleu, Affaire Merah : dérapage complotiste de Jean-Luc Mélenchon, 7 Juin 2021
33
tweet du compte de l’humoriste Bruno Gaccio du 11 Nov. 2023 au sujet du CRIF
34
ce qui semble, au moins temporairement, se refléter dans les enquêtes d’opinion, article de Public Sénat, Sondage : Jean-Luc Mélenchon devient la personnalité politique la plus rejetée avec 62 % d’opinions défavorables, 31 Oct. 2023
35
article dans Le Monde, Antisémitisme : 1 518 actes recensés en France depuis le 7 octobre, peu de condamnations, 15 Nov. 2023
36
article de 20 Minutes, Paris : Un couple de Moldaves en rétention administrative pour un tag antisémite, 2 Nov. 2023
37
article sur le site du Quai d’Orsay, Russie – Nouvelle ingérence numérique russe contre la France, 9 Nov. 2023
38
article de la revue Social Problems, The Swastika Epidemic of 1959-1960: Anti-Semitism and Community Characteristics, Oxford University Press, 1962
39
thread de Mathieu Audinet, chercheur à l’IRSEM, 8 Nov. 2023
40
cf. la fiche de lecture concernant le Mage du Kremlin sur ce site
41
intervention d’Hugo Micheron sur France Inter, 4 Déc. 2023, ainsi que son Tracts chez Gallimard, Jihadisme européen, quels enjeux pour l’avenir ?, Mars 2022
42
épisode du Collimateur, Porter les armes en Russie et en Ukraine, entretien avec Anna Colin Lebedev, 28 Nov. 2023
43
Tracts de Gallimard, Chine-Russie, le Grand Rapprochement, Alice Ekman, Nov. 2023
44
article de The Conversation, The Israel-Hamas war: No matter who loses, Iran wins, 8 Oct. 2023
45
épisode du Collimateur, Les conceptions occidentales de la guerre à l’épreuve du conflit ukrainien, entretien avec Béatrice Heuser, Juil. 2023
46
épisode du Collimateur, L’Europe face aux limites des capacités américaines, entretien avec Pierre Haroche et Camille Brugier, Juin 2023
47
article dans le Grand Continent, 10 points sur la défense européenne en 2023, Jan. 2023
48
article dans la revue Etudes, Religions et conflits dans les relations internationales, Août 2023
49
article reproduit sur le site de la Fondation Jean Jaurès, En immersion numérique avec les gilets jaunes, de Roman Bornstein, Jan. 2019
50
épisode du Collimateur, Bons baisers de Paris – l’influence russe en France, entretien avec Nicolas Quénel, Nov. 2023
51
fiche Wikipedia biographique
52
fiche Wikipedia biographique
53
article du Times of Israel, Arab support for Palestinians swelled by euphoria over Hamas blow to Israel, 10 Oct. 2023
54
article du Times of Israel, Jewish students locked in NYC’s Cooper Union as protesters chanted ‘Free Palestine’, 26 Oct. 2023
55
article dans La Croix, Antisémitisme : une haine décomplexée, entre « bêtise » et volonté de « faire du buzz », 14 Nov. 2023
56
tweet de Bill Ackman, partageant l’extrait dans lequel la sénatrice Stefanik questionne les trois présidentes des universités américaines les plus prestigieuses sur la compatibilité de la libre expression de la violence antimsémite sur leur campus respectif avec les valeurs de ces institutions, 6 Déc. 2023
57
article de France Info, Attaque du Hamas contre Israël : des sanctions prises à l’université après des propos “indécents”, 10 Oct. 2023
58
étude de Fondapol, Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022
59
rapport de la CNCDH, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2022
60
cf. supra notes 4, 5 et 30 sur la généalogie de cette expression antisémite
61
tweet partageant une video filmée vraisemblablement lors d’un rassemblement propalestinien, recherche d’une source vérifiée pour cet enregistrement en cours
62
tweet de l’UEJF publiant la video de jeunes gens dans le metro parisien, chantant « Nique les juifs et nique ta mère. (..) Nique les juifs et les grands mères »
63
article de France Info, Sketch polémique de Guillaume Meurice : l’Arcom adresse une mise en garde à Radio France, 23 Nov. 2023
64
article dans Le Point, La propagande pro-Hamas prend ses aises sur Instagram, 27 Nov. 2023
65
article dans Le Monde, Jordan Bardella nie l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen et rediabolise le Rassemblement national, 6 Nov. 2023
66
article dans l’Express, Le député David Guiraud accusé de relativiser l’attaque du Hamas : la polémique en 5 actes, 13 Nov. 2023
67
article dans Le Point, Comment Adrien Quatennens a reçu un Palestinien faisant l’apologie du Hamas, 10 Nov. 2023
68
article dans Le Monde, Danièle Obono qualifie le Hamas de « mouvement de résistance », Gérald Darmanin saisit la justice pour « apologie du terrorisme », 18 Oct. 2023
69
article de France Inter, Mathilde Panot refuse de qualifier clairement le Hamas de “terroriste” et conforte les critiques contre LFI, 10 Oct. 2023
70
article dans le Times of Israel, European leftists panned for casting blame on Israel over brutal Hamas attack, 10 Oct. 2023
71
article de l’Express, Alain Soral, Rivarol… Les nouveaux soutiens de La France insoumise, 29 Oct. 2023
72
exemple dramatique lors de la manifestation contre les violences faites aux femmes du 25/11/2023 (chronique Europe 1 d’Eugénie Bastié, L’étrange silence des féministes sur les viols du Hamas, 27 Nov. 2023), qui n’est pas sans rappeler les silences qui ont suivi les viols commis principalement à Cologne, mais également dans le reste de l’Allemagne, en Finlande, Suisse et Autriche, fin 2015 (fiche Wikipedia)
73
article dans The Atlantic, The Decolonization Narrative Is Dangerous and False, de Simon Sebag Montefiore, 27 Oct. 2023
74
cf. supra note 11
75
tweet de Révolution permanente, 22 Oct. 2022
76
video YouTube de The Middle East Media Research Institute (MEMRI), Al-Aqsa Mosque Imam Mohammed Saleem Ali In Homophobic Diatribe During Friday Sermon: The Palestinian People Will Not Allow A Single Homosexual On Our Land; Such Perversion Brings The Wrath Of Allah On Us All, Juil. 2022
77
video YouTube de MEMRI, Palestinian Islamic Scholar Sheikh Yousef Abu Islam: Homosexuals Should Be Thrown Off Rooftops, Stoned To Death; Allah Will Punish Us Like Sodom If We Don’t Fight This Abomination, June 2022
78
page Wikipedia “LGBT rights in the State of Palestine”
79
video YouTube d’Akadem, La haine du sionisme dans le monde arabe, conférence de l’historien George Bensoussan sur le sujet, qui n’appartient quasi-exclusivement qu’à la mémoire juive, 2013
80
dossier spécial du Point, Israël, 7 octobre 2023 : heure par heure, le récit d’un crime historique, 8 Nov. 2023
81
tweet du Point, thread présentant le dossier spécial sur les attentats du 7 octobre, 8 Nov. 2023

Nos mondes perdus de Marion Montaigne

Au guet ! de Terry Pratchett

2 COMMENTS

La démocratie des crédules de Gérald Bronner – yowino's blog
December 26, 2023 at 10:53 am
[…] le témoignage au sujet des massacres du 7 octobre en Israël perpétrés par le Hamas, publié sur ce site). Cela me fait énormément penser à la phrase que Desproges sort à Le Pen lors de son fameux […]
L’embrasement de Michel Goya – yowino's blog
April 10, 2024 at 11:10 am
[…] réveil brutal et traumatique à l’occasion des massacres du 7 octobre 2023 (billet à ce sujet) actionne tous ces éléments pour produire une réponse militaire d’une forte intensité. Le […]