Une métamorphose iranienne de Mana Neyestani
Après une première incursion dans l’univers narratif de Mana Neyestani avec ses Oiseaux de papier, je me suis laissé tenter par cette Métamorphose iranienne, récit autobiographique dans lequel l’auteur iranien raconte un cauchemar éveillé, qui le conduit rapidement dans les prisons de son pays et lui donne à voir la férocité d’un régime politique totalitaire.
En 2006, Mana Neyestani travaille comme dessinateur pour la presse jeunesse et ses réalisations sont publiées dans le supplément d’un journal à grand tirage. Un jour, il dessine un enfant qui parle avec un cafard. La bestiole utilise dans ce dialogue un mot azéri pour s’exprimer. Or les Azéris, minorité turque vivant principalement dans le Nord du pays, sont opprimés par le régime iranien depuis longtemps et la publication, perçue par certains comme une provocation, suscite une colère ethnique, qui déclenche bientôt une révolte. Il n’en faudra pas plus pour que les gouvernants recherchent un responsable bouc émissaire, tout désigné en les personnes du dessinateur et de son éditeur, qui seront pour leur crime bien vite jetés en prison.
L’auteur raconte alors par le menu les interrogatoires interminables, les intimidations en tout genre, les pressions psychologiques plutôt que physiques dans les sévisses pratiquées le concernant, la volonté acharnée d’identifier d’autres journalistes qui posent problème, les menaces en tout genre sur lui et ses proches, les dépositions falsifiées… Après deux mois d’isolement, Mana obtient une autorisation de sortie temporaire, opportunité qu’il saisit pour quitter l’Iran avec sa femme et séjourner aux Emirats Arabes Unis, en Turquie, en Chine, avant d’arriver en Malaisie où le couple s’installe quelques années. Ils vivent depuis 2010 en France. Ce long et douloureux périple est une course contre la montre, dans laquelle les époux doivent impérativement trouver une solution pour être acceptés comme réfugiés dans un pays en paix.
Disons le d’entrée : j’ai trouvé cet écrit moins percutant que les Oiseaux de papier du même auteur. Cela peut paraître paradoxal au vu du récit résumé ci-dessus, dont l’expérience profondément personnelle laisse entrevoir une histoire forte. L’histoire est forte ; sa construction l’est moins. Là où, les Oiseaux de papier étaient une claque narrative, empruntant au mythe de l’Odyssée, dans sa patiente construction et dans son dénouement dramatique, cette Métamorphose iranienne, ouvertement inspirée de l’oeuvre de Kafka, parvient moins à construire une mise en scène équivalente. C’est sans doute le signe que le drame imaginé et le témoignage d’horreurs vécues ne peuvent répondre aux mêmes codes. Quoiqu’il en soit, cela ne retire absolument rien à l’importance de ce livre en tant que témoignage rapporté au sujet d’un régime dont la violence est sous-estimé chez nous, et notamment dans l’appréciation de ses intérêts politiques, de sa façon de les avancer et de ses implications géopolitiques nous concernant.
Au final, si ce volume me semble sur le plan narratif moins fort que le précédent lu du même auteur, je trouve cette lecture essentielle dans une période où l’on fait mine d’ignorer le Mal que le régime iranien représente. A plus forte raison, dans une période de confusion côté occidental et de mauvaise appréciaiton des enjeux et des menaces. Mana Neyestani a, à l’occasion des attentats du 7 octobre perpétrés en Israël, partagé une série de dessins de presse qui décrivent cruellement mais authentiquement la réalité assassine du régime de son pays et sa responsabilité dans ces massacres. Une leçon d’intelligence du dessin au service de la liberté de la presse.
Que des jours meilleurs arrivent.