Les oiseaux de papier de Mana Neyestani
Bien obligé de l’avouer, il sera dans ce billet question d’une bande dessinée que je n’aurais pas eu l’idée d’acheter si elle ne m’avait été offerte, mais qui m’a énormément touché, choqué même d’une certaine manière. Les oiseaux de papier de Mana Neyestani raconte une histoire de kolbars, ces personnes qui habitent à la frontière entre les Kurdistan iranien et iraquien, et qui transportent des marchandises au péril de leur vie. Pas drôle mais percutant : voici peut-être la meilleure synthèse qui puisse en être proposé.
La bande dessinée est construite comme un miroir de l’Odyssée d’Homère : d’un côté, Rojan, belle jeune femme qui tisse un tapis et ce faisant livre ses pensées au sujet de sa condition actuelle et de son espoir de vivre auprès de son bien aimé, Jalal l’ingénieur ; de l’autre, le périple de Jalal avec un groupe d’hommes du village parti chercher au Kurdistan iraquien des marchandises, qu’il ramèneront sur leur dos à travers les monts Zagros. Le récit nous montre les conditions de vie très difficiles (pour dire le moins) de ces populations kurdes, isolées, méprisées par le pouvoir iranien, abandonnée au chômage et à une lutte pour la survie. Le commerce qu’ils entretiennent dans ces aller retours transfrontaliers a pour compagnon de voyage la mort à chaque étape : le froid extrême des montagnes, les risques d’éboulement, les gardes frontières qui n’hésitent pas à ouvrir le feu sur ces contrebandiers, les mines anti personnelles…
Au cours des premiers deux tiers du livre, on pourrait croire à un “énième” documentaire Arte (qui participe d’ailleurs à l’édition) : le spectateur occidental voit la misère prendre ici la forme de ces pauvres gens, dont l’héroïne résume la situation en citant un poème : « Les morts nous ont abandonnés, nous laissant souffrir à la surface de la Terre ». Le dernier tiers du livre quant à lui donne à revoir l’oeuvre entière par la maestria de sa mise en scène, patiemment tissée sur fond de BD-docu. En y regardant de plus près, ce n’est pas seulement la triste condition de cette population qui nous prend à la gorge, mais la distance culturelle d’une autre latitude, où les questions d’honneur se règle dans le sang, où l’ordre des générations s’impose dans le drame aux jeunes gens.
Le propos est servi par un noir et blanc précis, mais surtout par une très grande et parcimonieuse originalité dans la façon de rendre par le dessin certaines émotions des personnages, leur pensée, leur délire. La structure homérique fonctionne parfaitement et appuie là où ça fait mal : du départ au retour, tout le monde souffre, ainsi que le vers mentionné ci-dessus le prédit. Lecture dérangeante et inconfortable, portant au lecteur un coup de poing de réalisme.
1 COMMENT
[…] une première incursion dans l’univers narratif de Mana Neyestani avec ses Oiseaux de papier, je me suis laissé tenter par cette Métamorphose iranienne, récit autobiographique dans lequel […]