Abus sexuels dans l’Eglise Catholique de Mgr Pascal Wintzer
La collection Tracts de Gallimard publie depuis février 2019 ce qui sont en réalité de longs articles d’une cinquantaine de pages en moyenne, dans une édition sobre et à un prix très accessible (3,90€). L’idée du format est simple : donner à un expert la parole pour qu’il développe un point de vue, propose une perspective, fasse une somme de connaissances sur un sujet de société et d’actualité.
A titre personnel, j’ai découvert la collection avec l’excellent “Goût du vrai” d’Etienne Klein, dans lequel le vulgarisateur des sciences partageait de façon limpide le constat d’un rendez-vous médiatique manqué avec la culture scientifique à l’occasion du premier confinement de 2020 qui marquait les débuts de la pandémie de COVID19. Depuis, de nombreux numéros ont retenu mon attention, parmi lesquels : Zemmour contre l’Histoire signé par un collectif d’historiens, Jihadisme européen de Hugo Micheron, Ukraine-Russie : la carte mentale du duel de Michel Foucher, et le numéro de 47 paru en mars 2023 dont il est ici question, Abus sexuels dans l’Eglise Catholique de Monseigneur Pascal Wintzer.
Mgr Wintzer, archevêque de Poitiers, se livre dans ce Tracts à un exercice d’examen de conscience difficile, dont le but est d’interroger la nature de la vocation pastorale, dans une France post-chrétienne, en proie à une crise morale et institutionnelle aigüe, suite aux nombreuses révélations ces vingt dernières années de scandales liés à la pédophilie, et plus spécifiquement avec la publication du rapport Sauvé en octobre 2021. Contrairement à ce que le titre du texte pourrait laisser entendre, ce court essai ne porte pas tant sur la dimension sexuelle mais bien plutôt sur la notion d’abus dans l’Eglise. Le prélat s’appuie sur les conclusions du rapport Sauvé pour mettre en évidence les éléments qui lui semblent poser des difficultés certaines à l’Eglise d’aujourd’hui : l’entre-soi clérical, l’évaluation de la maturité des vocations au service de l’Eglise, la centralité de la figure de l’évêque pour décider in fine de questions pour lesquelles il n’a pas de compétences particulières (gestion de patrimoine, gestion des ressources humaines, gestion budgétaire…). Il constate amèrement que le service de l’Eglise partage avec le monde professionnel séculier une évolution des pratiques, qui pourrait se résumer ainsi : toujours plus d’administratif pour toujours moins de coeur de “métier”. Ce sont là les déterminants d’une situation conférant un pouvoir démuséré au clergé d’une part et aux personnes exerçant des responsabilités au sein de l’Eglise d’autre part.
Citant le Pape François, Mgr Wintzer pointe du doigt la notion d’abus, qui est multiforme : abus de confiance, abus spirituel, abus de position hiérarchique, abus sexuel. L’abus est dans le contexte de l’Eglise, explique-t-il, particulièrement tragique, celle-ci étant censée vivre selon la Vérité de l’Evangile qu’elle annonce, une voie de Justice et d’Amour par excellence. Comment assumer ce décalage insupportable ? Au point où elle est rendue, atteinte dans son crédit comme elle l’est, l’Eglise se doit de réagir de façon pragmatique selon l’archevêque de Poitiers, en n’écartant aucune solution qui permettrait de soigner une institution souffrante et de répondre aux besoins de la conduite pastorale des fidèles : clergé marié, rôle des femmes…
J’ai trouvé ce court texte intelligent et honnête, à hauteur d’homme, sur des questions graves qu’il est dur de regarder en face et qui nécessitent d’abattre les cloisons, réelles et virtuelles, entre les membres de l’Eglise, mais également avec la société de son temps. Il est salutaire que des affaires qui ont trop longtemps été cachées, laissant impunis des actes criminels, puissent aujourd’hui être exposés, leur processus examiné, le tord qu’elles ont causé évalué et les solutions débattues.
Un point a retenu mon attention dans le développement de Mgr Wintzer. Il exprime le fait que la culture chrétienne est en forte baisse, caractérisée notamment par un manque de repères dans la vie de foi des fidèles. Cela s’accompagne dans le même temps d’une tendance forte de l’approche littérale des textes sacrés et du discours religieux de façon générale, ce qui présente un risque majeur de réduction des horizons portés par l’Eglise, voire contribue à un enfermement des individus, sur les plans spirituels et psychologiques, ouvrant la voie à une inféodation à des paroles frappées d’autorité. Or, si l’obéissance est clé dans la vie de foi, celle-ci est nourrie de l’interprétation, de l’actualisation, du commentaire sans cesse renouvelé de textes qui doivent être questionnés, bousculés, renversés parfois, pour être entendus dans leur signification et leur portée, en accord avec un message qui nous dépasse tous, fidèles comme clergé.
De ce point de vue, il me semble que le fait de disposer d’un Théo ou d’un ouvrage tel que les éléments de doctrine chrétienne du Père François Varillon est sain pour construire une approche réfléchie de la vie spirituelle.