Partie de chasse de Christin et Bilal
A l’heure de la disparition de Mikhaïl Gorbatchev, étonnante lecture que ce Partie de Chasse de MM. Christin et Bilal, qui nous plonge dans l’atmosphère glauque d’une chasse organisée entre amis, tous responsables politiques de la machine soviétique.
Sortie en 1983, cette bande dessinée avait apparemment eu un petit effet électrochoc sur le thème de “la BD peut aussi raconter des trucs qui font réfléchir”. Vassili Alexandrovitch est un vieux de la vieille, qui a su se maintenir et évoluer dans les eaux troubles de l’appareil d’Etat depuis la Révolution d’octobre. Personnage discret, secret même, rendu muet par une sale blessure, il réunit son groupe d’amis qui tous le révèrent et lui doivent leur avancement, un coup de pouce, voire tout simplement la vie. Une franche camaraderie réunit tout ce p’tit monde dans un château aux confins d’une des républiques socialistes à l’occasion d’une partie de chasse, le sport favori de Vassili. C’est également l’occasion d’évoquer le passé qui les lie tous, et l’on passe en revue 60 ans d’Histoire soviétique, depuis 1917, aux procès de Moscou, aux purges, à Stalingrad, 1956 à Budapest et 1968 à Prague, l’arrivée de Solidarnosc en Pologne… ainsi que l’avenir qui s’incarne dans un nouveau cadre du Parti venu rejoindre notre groupe.
L’ambiance est étrange, entre chaleur amicale et sordide du lieu et férocité de la chasse, des éléments que le dessin si particulier de Bilal rend à merveille. Le scénario est cruel, inspiré de faits réels qui dans l’édition que l’on m’a prêtée faisait l’objet d’un dossier spécial mêlant coupures de presse, poème et portrait des protagonistes, et l’on comprend rapidement que dans ce groupe d’amis, on en est ou on n’en est pas.
Cette histoire dit quelque chose d’assez terrible sur la rencontre entre les bonnes intentions et la puissance administrative d’un régime dictatorial, et l’importance de son réseau pour se maintenir en vie… Glaçant tout comme le temps qu’il fait pour nos personnages !