Vivre de Ken Krimstein
Version française de ‘When I grow up’ du dessinateur de presse Kim Krimstein, Vivre est un roman graphique qui met en image des textes écrits par des adolescents juifs de Vilnius, en réponse à un concours organisé par le YIVO dans les années 1930, dans lesquels ils racontent leur vie, leur rêve, leur désillusion, leur vision du futur. Récits touchants de par leur innocence et les tumultes rapportés d’une jeunesse, qui ignore qu’elle se tient au bord du vide.
Six adolescents, six parcours différents, entre traditions religieuses, amourettes, tensions familiales, socialisme, rêves d’Amérique et espoirs pour le futur : Vivre est une compilation émouvante d’autobiographies rédigées par ces jeunes filles et jeunes hommes en Yiddish pour répondre au concours organisé par le YIVO, qui promettait une récompense financière pour le vainqueur. Institution créée en 1925, installée à Vilnius, le YIVO – Yiddisher Visnshaftlekher Institut – se donne pour mission d’être un centre d’étude dédié à l’histoire et la culture de la langue Yiddish. C’est en 1932 que le centre lance ce concours dans le but d’étudier la jeunesse yiddishophone de son temps. C’est le 1er septembre 1939, jour où l’armée allemande envahit la Pologne, qu’il aurait dû remettre son prix.
Les manuscrits de ces textes adolescents ont été miraculeusement préservés, cachés pendant la guerre et toute la période soviétique, avant d’être redécouverts en 2017 dans le sous-sol d’une église (voir article du New York Times). En les découvrant, Ken Krimstein, dessinateur dans le quotidien américain, est ému et décide de donner une traduction en images à ces témoignages d’un monde englouti.
Six courtes histoires donc, chacune illustrant à sa manière des enjeux de vie familiale ou d’aspiration de gamins. La consigne du concours le précisait bien : “Ne croyez pas que seul un individu ayant vécu des expériences extraordinaires peut participer, ne croyez pas que les petites choses sont sans importance, et par-dessus tout, n’essayez pas de rendre vos autobiographies “plus intéressantes” en inventant des évènements ou en utilisant un langage fleuri.” Ces écrits sont alors touchants de simplicité et de naturel. Ils sont l’histoire des questionnements et chamboulements de tout ado, en même temps que le lecteur qui connaît la suite de l’Histoire ne peut s’empêcher de penser à cette innocence fauchée par le destin tragique des Juifs d’Europe dans la seconde guerre mondiale.
Il y a quelques années, par une forme d’hygiène mentale, j’ai décidé de ne pas m’autoriser plus d’une lecture par semestre sur ou autour de la Shoah. Voici celle de ce semestre. Le trait de Krimstein, la sobriété en bichromie, l’utilisation de ce orange qui rend tous ses sujets soulignés très expressif font de cette oeuvre un objet hommage, qui fait revivre, le temps de 500 pages, l’espoir d’une jeunesse engloutie. Elle donne également à voir comme, par l’exemple de Beba Epstein, seule survivante identifiée parmi les récits, la vie est la plus forte au milieu d’un chemin de mort.