La cuisine des ogres de Vehlmann & Andréae
De mon point de vue, c’est pour le moment la meilleure BD que j’ai lue en 2024 ! La Cuisine des ogres – Trois Fois Morte – de Fabien Vehlmann (scénariste de Seuls, le Dernier Atlas) et Jean-Baptiste Andréae (Azimut) est un conte horrifique, fantastique, charmant et gustatif : rien que ça !
Un soir, dans un petit village de Savoie, une bande de pauvres gamins des rues qui cherchent à calmer leur faim tombent dans le piège tendu par Grince-Matin, un ogre venu dans le monde des Humains chasser les ingrédients à revendre à l’ogre le plus offrant, pour les préparations de la cuisine de la Dent du Chat. Blanchette, jeune fille frêle, enlevée volontaire pour venir en aide à ses amis raptés, ne se laisse pas impressionner par ces lieux impitoyables et se lance dans une folle aventure pour libérer ses compagnons d’infortune. Son courage et son intrépidité lui permettent d’affronter cette ambiance dantesque, voire même de faire valoir ses qualités pour aider les cuisinistes à sortir d’un mauvais pas.
La Cuisine des ogres est un one shot, dont on devine que d’autres volumes one shot pourraient agrandir la collection. L’univers est riche de détails et permet de pleinement apprécier le passage du monde bleu nuit des Hommes à l’Enfer coloré jaune, rouge, verdâtre des créatures fantastiques. Le dessin est d’un classique efficace, qui retranscrit à merveille les ambiances traversées, les rues désertes du village, les diverses parties de la cuisine, le hâchoir terrifiant, les plans de préparation, les étagères d’ingrédients, la salle à manger des invités de marque, le bidonville des petites mains… Tous ces décors sont magnifiquement rendus et offrent une scène de choix à cette histoire en forme de conte cruel narrant une traversée du miroir.
En effet, l’intérêt de ce volume est de parer l’histoire relatée des atours de la cruauté et des personnages cauchemardesques habituellement rencontrés dans les contes, pour en même temps passer du côté de l’exploration de ce monde, et donc de la compréhension de ses habitants, de ses règles, de ses enjeux. Les créatures qui font peur peuvent-elles avoir elles aussi peur ? C’est de ce sujet dont il est en réalité question dans ce volume, dont la narration est parfaitement maîtrisée de bout en bout, dans sa mise en scène et son timing.
Je suis arrivé au bout de ce volume généreux de 78 planches en me disant que je voulais encore plus de détails sur cet univers mystérieux, effrayant et attirant à la fois, aux personnages attachants, passés l’effet de peur qu’inspire la rencontre. Blanchette, appelée également Trois Fois Morte dans le livre, incarne en ce sens une héroïne parfaite pour partager son point de vue au lecteur : armée de son courage et de sa curiosité, elle voit dans ce monde décalé un lieu d’opportunités, dont les aspects de cruauté n’ont rien à envier à l’injustice de sa société d’origine. Vivement d’autres histoires dans cette atmosphère si particulière !