Odyssée de Levalet
Parmi les artistes de street art français, Levalet tient une place particulière. Son trait est reconnaissable entre mille et sert les mises en scène farfelues et franchement originales de ses personnages. Alors quand l’artiste propose une bande dessinée urbaine, cela vaut le détour ! Odyssée est un projet ambitieux, réussi et surtout une démonstration de force du street art comme support de narration.
Trois années ont été nécessaires à Levalet pour patiemment assembler le matériau qui compose la trame d’Odyssée. Débuté fin 2019, j’avais eu l’occasion, à la veille du premier confinement en 2020, de suivre quelques unes des réalisations du street artiste dans les rues de Paris (voir billet ici sur la Voix de l’Art Urbain). L’intérêt du projet est multiple : dès le lancement, Levalet annonce l’ambition d’une narration d’ampleur, éparpillée sur plusieurs sites, qui nécessite de nombreux collages et pour laquelle il livre en parallèle du travail de pose dans la rue, un suivi des aventures de son héros en ligne.
Odyssée raconte l’histoire d’un homme, convoqué par l’armée et mobilisé pour la guerre, et le périple de son retour à la maison qui suivra la blessure qu’il se voit infligé au front. La série de collages dehors alimente les bulles de la bande dessinée, sur fond de détournement, revisite de l’oeuvre d’Homère, qui baladait son pauvre Ulysse à travers terres et mers pour le rendre heureux de faire un beau voyage.
Un soin particulier est apporté au personnage, à ses expressions de visage, de stupeur, d’énervement, de surprise, de désespoir. On a froid avec lui quand il s’enveloppe dans sa couverture de bidasse pour boire une soupe chaude ; on a peur avec lui quand il fuit les bombardements ; on a mal avec lui quand il reçoit une balle en plein ventre. Il y a un tour de force dans le fait d’avoir monté cette histoire, réaslisée sur un temps long, avec de nombreux collages originaux (donc un format particulièrement ephémère et fragile dès que posé dans la rue) et rassemblée dans ce beau volume, dont la précision du dessin se passe de mots.
Le street art est une narration. Ce fut le principe directeur du projet la Voix de l’Art Urbain : imaginer de courtes nouvelles sur la base d’oeuvres vues dans la rue, jouant avec leur in situ, rentrant en dialogue avec l’oeuvre originale et son auteur. Avec mon ami Quentin, c’est animé de cette idée boussole que nous avons produit ensemble un commentaire de la visite de Banksy à Paris de 2018, événement médiatiquement aussi fort qu’éphémère, mais dont la galerie des dix oeuvres réalisées méritait, selon nous, que l’on s’intéressa à ce qu’elle pouvait bien vouloir raconter !
Odyssée de Levalet emmène cela un cran plus loin en reliant les points entre la rue, le web et la bande dessinée. Très fort !