Récits d’un jeune médecin de Mikhaïl Boulgakov
J’ai un ami avec lequel nous dînons une fois par an. A l’occasion de cette rencontre annuelle, nous avons initié un rituel qui consiste à nous offrir un court livre qui nous a plu. Cette année, il m’a offert les récits d’un jeune médecin de Boulgakov. Tout enthousiaste en me le remettant, cet ami, médecin lui-même, me disait que ce qui lui plaisait le plus était de constater à travers ces histoires, comme le métier était le même, indépendamment du temps et de la géographie.
Mikhaïl Boulgakov, auteur soviétique persécuté par l’administration de la culture de l’URSS, est avant tout connu pour son travail d’écriture de romans – parmi lesquels le très connu “Maître et Marguerite” – et de théâtre. Mais avant une carrière dans les lettres, Boulgakov fut d’abord médecin. Dans ses récits, on le suit donc dans sa première année d’exercice de la médecine après la sortie de l’université, auprès de l’ “hôpital” d’une petite ville de campagne, isolée des grands centres urbains où la Révolution est déjà à l’oeuvre en train de changer les moeurs et les mentalités, où les villes sont éclairées à l’électricité et où l’on conçoit de se déplacer en train. Notre jeune médecin découvre un univers isolé, boueux, campagnard, supersticieux, crasseux, et rapporte l’expérience de ses premiers pas en tant que sachant théorique catapulté dans la pratique au milieu des paysans. Il raconte également la vie auprès de son équipe précieuse, qui connaît le public des lieux et la façon de le prendre.
Courte lecture, drôle, cracra et cru des cas qu’il traite – amputation, accouchement difficile, syphilis – on découvre en le lisant l’envers du décor de la figure sûre de lui-même et auréolée de sa blouse blanche qu’est le médecin, pour explorer les hésitations, les révoltes internes, les coups de gueule contre la bêtise ou l’entêtement, les sueurs froides à l’idée d’avoir posé le mauvais diagnostic ou de pratiquer un geste maladroit… Un rapport étonnant avec les patients, dont le grand nombre crée une impression de masse anonyme, de laquelle ressortent quelques personnes marquantes, dont on remarque les traits, la beauté d’une jeune femme, la mignonerie d’un enfant, la faiblesse dévoilée d’un époux devant la blessure fatale de son aimée.
Dire que c’est humain serait en dessous du livre. Ca sent l’humain, comme seul une ambiance de médecine pue l’humain. Côtoyez la vie et la mort, et les choses prennent immédiatement une tournure, une densité, se charge d’un sens qui ne peut qu’interroger le soignant dans toutes ses composantes, celles du savoir et du métier, celles de l’empathie et de la vocation à soigner, à accompagner.
Très belle lecture, qui n’épargne pas son lecteur en détails sordides, mais qui de ce fait ancre le témoignage dans un réel intelligible.