Fraise et Chocolat d’Aurélia Aurita
Déniché lors d’une visite de l’espace réservé aux éditeurs indépendants durant le dernier festival d’Angoulême, et après en avoir feuilleté quelques pages, l’intégrale de Fraise et Chocolat d’Aurélia Aurita m’a été recommandée par M. Benoît Peeters, génial scénariste des Cités Obscures, animateur d’un cours portant sur l’histoire de la BD et récemment nommé au Collège de France où il occupe la chaire “création artistique” pour un an. Avec une telle recommandation, je me suis laissé tenter par l’opus.
Fraise et Chocolat est le récit autobiographique sans filtre, en deux tomes et épilogue proposé exclusivement pour la version intégrale, d’une passion amoureuse, d’une intimité et d’une sexualité vécues sans tabou ni limites a priori. J’ai été étonné de voir la publication estampillée érotique : elle est bien trop explicite pour le qualificatif d’érotique ! Aurélia raconte par le menu donc son idylle avec Frédéric Boilet, auteur de BD lui aussi, installé au Japon depuis quelques années. Ses planches sont l’occasion d’exprimer avec force détails les positions pratiquées, fantasmes réalisés, réflexions avant, pendant et après l’acte amoureux, la grande amplitude des émotions, pleurs de joie, jalousie, questionnements obsessionnels, considérations sur la beauté du visage de son compagnon, leur différence d’âge. En bref, tout ! Le premier tome nous montre un couple quasi tout le temps dénudé. Le deuxième explore, en marge de la dimension sexuelle, la problématique de la vie de couple dans un petit milieu où tout le monde se connaît et la façon dont cela pèse sur leur relation.
Fraise et Chocolat – un titre indiquant toute une programmatique sexuelle – est à replacer dans un contexte des années 2000 où émergent les récits autobiographiques en BD. Entre les carnets de Sfar (qui signe d’ailleurs une planche préface très sympatique), les Pilules Bleues de Peeters et les Notes de Boulet, l’exercice est un incontournable, surtout à une époque qui voit l’émergence des blogs et des journaux intimes publics. Naturellement, la BD d’Aurélia Aurita, Chenda Khun de son vrai nom, a ceci de particulier qu’il s’agit des confessions d’une femme, qui ont d’autre part la particularité de rendre compte d’une approche féminine de la sexualité, dont les productions culturelles et audiovisuelles relèvent généralement, sinon systématiquement, du fantasme masculin. Là, aucun détail n’est épargné, du plus cru au plus touchant, du plus drôle au plus amer. L’héroïne est curieuse, veut savoir ce que cela fait de voir son partenaire jouir, a envie de tester telle ou telle pratique, et dans le même temps, est prise par la violence de ses sentiments, partagés par son compagnon.
A noter enfin que les deux volumes originaux s’intéressent aux débuts d’une relation – deux années couvertes en tout – qui durera sept ans avant de se terminer. L’épilogue traite des lendemains de leur histoire commune, de la difficulté de passer outre, de passer à autre chose. L’ensemble donne raison à la préface de Sfar, qui fait dire à son chat, quittant la planche à pattes de velour, “on lit ça, on est content pour eux… Ensuite, on referme et on s’en va sur la pointe des pieds.”
C’est un récit chaud, bouillant même ! Mais pas seulement. On suit le fil des réflexions de cette jeune femme, telles qu’elles lui viennent. Bien sûr le désir sexuel est une composante majeure de l’oeuvre, mais elle est une porte d’entrée dans le récit intime d’une complicité débordante, sans fausse morale, avec une certaine dose d’innocence et de naturel dans les ressentis et les réactions. Néanmoins, j’ai fini par trouvé un peu too much la restitution de tous les détails et aurais préféré voir développer encore plus qu’en trente planches l’épilogue de cette relation, qui est attendrissant et soulève nombre de questions sur ce qui fait le contenu d’une relation amoureuse et ce qu’il en reste ou non une fois celle-ci rompue.
A ne pas mettre en toutes les mains en tout cas !
1 COMMENT
[…] cette BD, dont le caractère érotique est très prononcé (même si finalement nettement moins que Fraise et Chocolat), obtienne une distinction “prix du public” à Angoulême, l’oeuvre contenant une […]