Ar-Men d’Emmanuel Lepage
La Mer est calme, féroce, solitude, envahissement, bleue, verte, or, noire. Elle a ce pouvoir étrange, la mer, de fasciner ceux qui la naviguent, la côtoient, l’habitent, la méditent. Elle est peut-être par excellence l’expérience ultime de la force des éléments rencontrée sur Terre, de la Nature pleinement sauvage, de la supériorité du fort sur le faible, pleinement contrainte pesant sur l’Homme et rappel du “rien” humain. Victor Hugo n’en traite pas autrement dans ses Travailleurs de la mer. Ar-Men d’Emmanuel Lepage nous en offre une nouvelle illustration.
Ce volume unique dépeint la vie de Germain, et dans une moindre mesure de Louis, son camarade collègue, tous deux gardiens d’un phare, Ar-Men, situé au large de l’Île de Sein, à la pointe du Finistère, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Germain est un homme à sa place dans le phare. Il y vit isolé, dans sa tour, à éclairer les bateaux, sauver des vies en évitant les naufrages. Un jour, en grattant la chaux fatiguée des murs de son phare, il découvre écrit à même le mur le récit d’un précédent gardien, le premier, qui en fut aussi, jeune garçon, le premier volontaire à sa construction.
Le lecteur plonge alors dans l’histoire du phare, de cette conquête audacieuse sur la mer du génie humain au 19è siècle, en même temps qu’oeuvre de foi et de dévouement. S’entremêlent les parcours de vie et leurs fantômes, celui du précédent veilleur, celui de Germain, résistant embarqué en 1940 depuis l’île voisine pour Londres, celui de Germain et de sa fille adorée.
Le dessin est splendide. Il rend un incroyable hommage à la puissance des vagues, leur violence dans le choc de la rencontre avec la structure de pierres, le sifflement du vent, la portée du faisceau lumineux qui fend l’obscurité… tout y est splendide ! Mais la force de ce récit, c’est cette histoire à hauteur d’homme, désarmé devant le titanesque, image quasi Job-esque du passage dans la vie, d’une existence en quête de paix et de sens. Poignant.