Le gourmet solitaire de Taniguchi
Goro travaille beaucoup. Chaque fois qu’il conclut un deal ou boucle un dossier, il a un p’tit creux. Il explore donc, au fil de ses envies, de ses déambulations, souvent porté par le hasard, gargotes, restaurants, bars, salons de thé qui présentent leur carte à ses papilles curieuses. Cette quête culinaire est l’occasion pour le héros de se livrer à une vie intérieure intense qui touche à l’expérience gustative bien entendu, mais également aux souvenirs que celle-ci peut évoquer, son analyse de la clientèle des établissements qu’il fréquente, la difficulté qu’il éprouve à être un grand amateur de cuisines variées qui ne boit pas d’alcool, chose étonnante au Japon, le soin que les propriétaires apportent à l’ambiance de leurs restaurants…
Avec son gourmet solitaire, Jiro Taniguchi propose une oeuvre à la fois répétitive et riche de diversité. Répétitive tant les chapitres sont tous construits de la même manière : une situation de départ, souvent professionnelle, à l’issue de laquelle notre gourmet a faim, tombe sur un lieu de dégustation nouveau, mange et partage quelques réflexion. Riche et variée tant le soin du détail est grand dans la retranscription des odeurs, des textures, des présentations, des ambiances visuelles, sonores. Chaque endroit, chaque plat a sa propre personnalité, dont la fréquentation et les habitudes de consommation font l’objet d’une description quasi sociologique.
Pas de grande aventure, pas d’histoire au scénario qui retombe sur ses pattes à la manière des superbes Journal de mon Père ou quartier lointain, ce gourmet solitaire est de la cuisine fine, ainsi que le souligne une note du traducteur en introduction de l’édition intégrale. Le titre est autant une découverte de la cuisine japonaise, qui donne mille idées de choses à goûter et de la façon de s’y prendre, qu’un aperçu d’une culture de la nourriture, loin, très loin de la nôtre !
Expérience de lecture en apesanteur, qui réussit le tour de force de solliciter tous les sens avec le seul appui du dessin : s’apprécie comme un bon vin, dont le goût gagne en force à mesure que l’on prend le temps de déguster et de comprendre l’ingénierie qui lui donna naissance !