Phénix, l’oiseau de feu de Tezuka
Ma bédéthèque n’est pas très fournie côté manga. Sans doute par peur d’être trop rapidement envahi par des volumes dans tous les sens. Quelques titres comptent néanmoins parmi mes lectures préférées ! Gunnm, Akira, Planète et Vinland Saga (l’adaptation en animé est très réussie) de Makoto Yukimura, Peuple invisible de Shohei Kusunoki, et l’incontournable Taniguchi, avec ses récits familiaux très touchants Quartier lointain et Journal de mon père, ou le plus expérimental Gourmet solitaire.
Le manga est un format fabuleux à plus d’un titre : évidemment, le Japon nous partage ainsi un storytelling assez exotique pour nous, qu’il s’agisse d’aventures, d’heroic fantasy ou de témoignages personnels, mais surtout il le fait en ayant imaginé des codes visuels différents de ceux que la franco-belge et le comics ont développé comme langage pour rendre émotions, mouvements, réflexions. Parmi les figures emblématiques de l’évolution de cette grammaire de l’art séquentiel nippon, on trouve Osamu Tezuka, le papa d’Astro Boy. Le mangaka s’est essayé à de très nombreux styles de récit : historique, aventure, mythologique, philosophique, technologique, s’adressant aux enfants puis aux adultes. Delcourt sort depuis quelques temps une édition prestige rendant hommage à sa production très importante (à côté de laquelle Sfar fait petit joueur !). Et notamment, récemment est sorti le premier volume de l’intégrale de Phénix, l’oiseau de feu.
Récit à cheval entre aventures épiques et mythe fondateur du Japon, on suit les aventures d’une tribu vivant sur une île volcanique où un Phénix se cache dans la montagne. Il se dit que quiconque parviendra à le tuer et à boire de son sang deviendra immortel. La tribu vit en paix, et certains de ses braves se risquent à mettre la main sur le précieux oiseau, mais bientôt c’est la convoitise qui attire des envahisseurs puissants, dont les chefs politiques sont en quête de vie éternelle, synonyme de pérennité de leur pouvoir. L’oiseau traverse les âges, au même titre que le désir Humain acharné de maîtriser l’Eternité.
La vie tribale et l’Empire moyen-âgeux deviennent bientôt métropoles puissantes, reposant sur des technologies avancées, dont la quête insatiable de pouvoir les conduisent régulièrement au bord du précipice. Phénix est une histoire d’aventure avant tout, qui débute sur les plages d’une tribu sans histoire, traverse les siècles de développement et s’ouvre sur une réflexion métaphysique sur l’Evolution et le recommencement indétectable à l’échelle des millions d’années de la guerre de tous contre tous.
Le scénario est très dynamique, n’hésite pas à prendre de gros risques narratifs, à nous faire quitter les lieux et personnages auxquels on s’est attaché, pour se dépouiller et resserrer son focus sur le propos philosophique de l’oeuvre. C’est ambitieux, beau et on comprend comment, par son approche du manga déployée entre les années 60 et 80, Tezuka a donné ses codes à un format qui aujourd’hui nous semble en partie aller de soit !