Civilizations de Laurent Binet
Et si les Incas avaient conquis l’Europe ? Laurent Binet met en scène dans Civilizations les étapes d’une Histoire alternative, imaginant des Vikings établissant des relations stables avec les Peuples du Vinland, un Christophe Colomb dont l’aventure tourne à la déconvenue, pour en arriver à décrire l’irrésistible, quoique saugrenue, ascension d’Atahualpa, co-Empereur Inca, dans sa conquête quasi fortuite, à la base en tout cas, de l’Europe de Charles Quint.
Binet nous montre ce qu’auraient pu donner des choix politiques plus éclairés et moins dogmatiques, dans une Europe du XVIè siècle politiquement et religieusement morcelée. Naturellement le piquant du récit repose sur le fait de croiser de nombreux personnages de la période, de Pizzaro à Montaigne, en passant par Cerventès et François Ier, qui se retrouvent placés dans des versions détournées d’eux-même. Ces figures emblématiques de l’Europe de la Renaissance et les clins d’oeil sont à ce point légion que le livre donne rapidement l’envie de dévorer Wikipedia pour retrouver écarts et correspondances entre Histoire et récit littéraire.
L’autre aspect qui fonctionne à merveille est que le narrateur est principalement un chroniqueur de l’Empire Inca, qui retranscrit selon sa propre compréhension culturelle les événements dont il est témoin, partageant ses nombreuses interrogations quant à ce Dieu cloué qui suscite tant de tumultes et l’admiration devant certains “amautas”, ces conseillers des Princes européens.
C’est très original et l’auteur réussit à la fois à écrire dans une forme littéraire convaincante pour un témoignage du XVIè siècle, tout en offrant un récit dynamique où il est impossible de s’ennuyer. J’ai particulièrement apprécié le fait que cet exercice de retournement de l’Histoire ne se fasse pas selon un mode symétrie inversée, mais développe une version proprement alternative à ce qui aurait pu arriver.
Le livre m’a été initialement chaleureusement recommandé par un pote prof de français, comme suite possible à ma lecture de l’oeuvre d’Eduardo Galeano, et qui m’expliquait que Binet était sans doute son auteur contemporain fétiche. Il m’a bien donné envie d’enchaîner sur ses autres romans la Septième Fonction du Langage et HHhH !
3 COMMENTS
Ce livre doit être hyper cool ! Avoir une idée de ce qui aurait pu arriver si les « conquistadores » étaient les Incas ici en Europe permet aux européens d’analyser comment une colonisation peut affecter à celui qui est colonisé. ☺️
En tout cas, ton texte ici donne bien envie de lire ce livre !
Hey merci ! Dis-moi si tu le lis : je trouverai super intéressant d’avoir ton point de vue dessus. A nouveau, ce que je trouve intéressant c’est que ce n’est pas (en tout cas pas entièrement) un roman vengeance. La “conquête” des Incas se fait un peu par hasard au début et les choix des “colonisateurs” sont différents des Européens. Pour donner un exemple, très rapidement l’histoire aboutit à la liberté religieuse parce qu’elle n’a pas une dimension obligatoire pour les Incas. Au final, c’est plutôt l’Histoire vue du point de vue du colonisateur qui est intéressante : là où on a dans l’Histoire réelle le témoignage de Christophe Colomb, ici on a celui du chroniqueur officiel de l’Empire d’Atahualpa 🙂
Ah bah j’adore l’idée, l’uchronie c’est mon dada ! J’ajoute Civilizations dans ma liste de lecture. Merci pour votre recommandation, Mossieu.