L’Arabe du futur de Riad Sattouf
Evénement BD de la semaine dernière : s’achevait avec un sixième tome la série autobiographique de Riad Sattouf “l’Arabe du futur“. J’ai tardivement découvert les aventures de la famille Sattouf au moment de la sortie du quatrième épisode et ai immédiatement accroché. On suit l’itinéraire chahuté, trimballé de cette famille franco-syrienne entre Libye, Syrie et Bretagne. Ce décor interculturel est la toile de fond des rapports tumultueux entre les parents de l’auteur, l’agrandissement de la fratrie dont il est l’aîné, son expérience de la singularité au milieu d’autres qui ne sont pas comme lui.
Trop blond et doux pour être arabe avec ses cousins de Syrie, trop handicapé patronymique pour être français à l’école à Rennes : Riad Sattouf partage l’histoire d’une déchirure que seule l’avancée en âge et un travail d’introspection vont parvenir à cicatriser. Déchirure culturelle, déchirure familiale, déchirure psychologique, coincé entre d’une part la culpabilité provoquée par l’impuissance à endiguer l’échec désastreux du couple formé par ses parents et d’autre part une vie qui avance, se fait, avec un talent pour le dessin, une envie d’aller dans cette direction, un succès à bâtir.
Au fur et à mesure des tomes de la série, le ton évolue. L’humour des débuts retraçant l’enfance, grinçant sur le chaos du temps passé au Moyen Orient, devient observation douce amère à mesure que le personnage de Riad grandit. Tout cela est raconté avec ce style si particulier de Riad Sattouf, que l’on retrouve dans les Cahiers d’Esther : personnages, lieux et couleurs simples, volontiers complétés de didascalies fléchées, terriblement efficaces pour aller à l’essentiel du propos, mettre des émotions en évidence, rendre comique par un contrast forcé le délabrement et le grégaire des scènes en Libye et en Syrie, la drôle de fragilité de la vieillesse des grands-parents…
C’est peut-être ce qui m’a le plus plu dans cette série : son côté sans concession, mordant, restituant comme il sait si bien le faire au sujet des ados, la cruauté des situations, le tragi-comique de la bêtise et de la violence, celles des gamins entre eux, celles de la radicalisation d’un père qui finit par signer un éloignement définitif, un “estrangement” (pardon anglicisme, mais le mot est bon !), le fait d’être rendu inconnu à ou de ne plus reconnaître quelqu’un de familier.
Le temps s’accélère quelque peu dans la narration de l’ultime épisode par comparaison aux tomes précédents, mais il a le mérite d’offrir une résolution finale à cette histoire intime. On y trouve notamment un travail graphique très intéressant autour de la présence par ombre portée de ce père, absent physiquement.
Au final, un excellent récit autobioraphique en bande dessinée, qui ouvre de façon intelligente la boîte noire de comment se construisent des émotions chez des mômes, comment celles-ci façonnent l’adulte, comment prend corps une narration personnelle de son propre passé et le récit de son avancée dans la vie.
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[…] inattendue de l’arabe du futur, le premier tome de Moi, Fadi, le frère volé de Riad Sattouf nous replonge dans l’univers […]