
Les extraordinaires aventures de Kavalier & Clay de Michael…
Passionné de BDs, de culture et d’histoire juives, je savais la lecture de cette œuvre de Michael Chabon être un incontournable. Il était cependant plus difficile de saisir de loin de quels sujets le livre traite en réalité. Entre questionnements sur les liens entre création et business, pouvoir de l’imagination et impuissance humaine, quête de l’Amour et de la paternité, l’auteur nous offre une histoire dense, maîtrisée, aux héros tout en nuances.
Six mois m’auront été nécessaires pour terminer la lecture des Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay de Michael Chabon, un bon pavé sorti en 2000 (855 pages aux éditions 10/18), qui remporta le Pulitzer Prize for Fiction en 2001. On y suit la rencontre en 1939 à New York de deux cousins, yiddish boys, Sammy et Joe. Le premier, jeune homme de 17 ans vivant à Brooklyn avec sa mère et sa grand-mère. Le second, jeune homme de 19 ans venant de Prague, dont la famille décide d’organiser la sortie du pays à cause des persécutions des nazis. Ensemble, ils partent à la conquête de l’industrie du comics, alors en plein âge d’or aux US. Sammy, génial scénariste et négociateur ; Joe, incroyable artiste dessinateur. De leur collaboration naissent les aventures de The Escapist, inspiré de l’admiration de Joe pour Houdini, lui-même ayant été un apprenti illusionniste, spécialiste de l’évasion.
Excellente lecture qui nous plonge avec de riches détails dans l’univers des comics de la fin des années 30’s aux Etats-Unis, s’inspirant librement et amalgamant des éléments biographiques d’auteurs comme Will Eisner, Bob Kane, Stan Lee, Jerry Siegel ou Jack Kirby (à qui le livre est dédié). On découvre ce business particulier de la production d’histoires de superhéros principalement et de la particularité de la contribution juive à son développement. Sur fond de seconde guerre mondiale, d’enjeux identitaires, financiers, familiaux, d’amours libres et scandaleuses, Chabon livre une œuvre fresque, s’étalant sur quinze ans, au sein de laquelle le génie créatif et la force des superhéros côtoient l’impuissance d’un jeune immigré, conscient du sort terrible réservé aux siens restés au pays.
C’est un récit méticuleux. Le travail d’écriture de Chabon constitue une reconstitution historique vertigineuse de réalisme ! Par de nombreux aspects, l’œuvre m’a fait penser au Life in pictures de Will Eisner : fils d’immigrés juifs, nés entre 1910 et 1920, ou fraîchement débarqués, ceux-ci sont dans la débrouille pour gagner quelques dollars, jusqu’au jour où leur talent de storyteller et de dessinateur-metteur en scène leur permet de s’insérer dans l’économie florissante de cette nouvelle forme de littérature pour enfants.
Au-delà du comics, le livre permet à son auteur d’aborder un certain nombre de thèmes. Parmi ceux-ci, celui de la paternité est évident. Nos deux héros pour des raisons diverses n’ont plus leur père à leurs côtés, ce qui emporte des conséquences dans leurs choix artistiques et leur parcours de vie. Le court essai de Chabon, « Pops », dans lequel il offre ses réflexions sur la figure paternelle sous forme de courtes histoires, confirme l’intérêt de l’auteur pour cette question fondamentale et la façon dont celle-ci le travaille.
Au final, voici une lecture tout à fait enthousiasmante, en ce qu’elle montre la rencontre entre génie créatif et contraintes du business. Lecture émouvante, voire très émouvante, dès lors qu’elle s’approche de l’intimité de ses héros, de ce qu’ils ressentent mais ne peuvent exprimer. Superbe par endroits ; barré à d’autres. Bonne option pour les fans de BDs en quête d’une lecture prenant prétexte de ce medium pour leur raconter une bonne histoire !