A quoi sert encore l’Histoire ? d’Antoine Resche
L’Histoire, c’est un peu les chiffres des sciences sociales : on lui fait dire ce qu’on veut ! Cela pourrait en partie résumer ce court essai d’Antoine Resche – Histony pour les intimes – dans lequel celui-ci s’interroge sur l’éventuelle utilité de l’Histoire. Entre passion pour la discipline et appel à dépassionner l’Histoire, un petit livre qui pose d’excellentes questions sur ce que nous recherchons dans notre passé.
Tombé dans la marmite de la passion pour l’Histoire quand il était petit, entre des grands-parents profs de lettres et un attrait pour les jeux videos sur fond historique, Antoine Resche part de son expérience personnelle et de sa vocation pour l’étude du passé, pour soulever la question de l’utilité de celle-ci. Il passe ainsi en revue les poncifs du sujet : “tirer les leçons de l’Histoire”, “former, par l’enseignement de l’Histoire, de meilleurs citoyens”, “l’Histoire est écrite par les vainqueurs”, en même temps qu’il énumère les tendances à droite comme à gauche de détournements de l’Histoire.
La lecture de l’essai présente un premier grand intérêt : elle permet de mesurer à quel point les enjeux qui entourent l’Histoire sont nombreux. Que l’on songe à son enseignement, sa recherche académique, son détournement, son attrait médiatique et populaire, son potentiel commercial et politique, son rapport difficile avec la Mémoire… les difficultés en font un noeud de société certain. Ces enjeux apparaissent clairement à la lecture de l’ouvrage de comparaison des enseignements de l’Histoire de Marc Ferro par exemple, Comment on raconte l’Histoire aux enfants. Et le présent essai confirme cela.
Ici, Antoine Resche défend un point de vue étonnant et original : trouver une utilité à l’Histoire est sans doute inutile ; l’aimer uniquement pour ce qu’elle est, suffit. L’auteur parvient à cette conclusion à l’issue d’une période COVID où l’on a vu surgir la notion de biens essentiels et non-essentiels. Lecture et connaissances classés en commerce non-essentiels, cela donne à réfléchir quant à la place accordée aux choses de l’esprit dans notre société. Il faut dire à ce sujet que les différents confinements ont démontré la puissance d’internet, tant en matière de lien social qu’en ce qui concerne le partage d’informations en général et celui des connaissances en particulier.
Aimer l’Histoire pour elle-même, cela renvoie à une conception noble de la discipline académique, dans laquelle l’étude incite à creuser toujours plus avec méthode un même sujet. L’auteur se revendique d’une approche scientifique de l’Histoire, et l’on comprend aisément le fait qu’il invoque ceux dont il a croisé les travaux et qui partagent cette même passion, cette même conception de la méthodologie, de la façon d’interroger les faits et les sources, d’éclairer ainsi le sujet qu’ils travaillent, ses éléments contre-intuitifs, ses angles morts quant à sa compréhension. Une approche de l’Histoire à mi-chemin entre phénoménologie et contemplation.
Epineux épilogue
L’essai se termine sur un épilogue écrit au lendemain de la dissolution de l’Assemblée Nationale, le 9 juin 2024, dans lequel, il abandonne quelque peu une posture de demi-réserve qui guide l’écriture du reste de l’essai, en affichant-assumant ses engagements politiques à gauche. Le propos se concentre alors sur la convocation plus ou moins heureuse, comme il l’explique, de l’appellation de Front Populaire, pour détailler principalement les difficultés à droite et à l’extrême droite avec l’aspiration politique d’une gauche authentique.
Pour être honnête, et bien que, d’une part les engagements de l’auteur sont une chose connue pour qui suit ses travaux et d’autre part je le trouve souvent pertinent dans ses analyses politiques, cette dernière partie m’apparaît bâclée, tant il y aurait eu à mon sens d’autres choses à dire sur le sujet d’un point de vue historique. C’est ici plutôt le militant qui s’exprime que l’historien, et je trouve que cela pose une difficulté au vu de l’ambition de l’essai. En effet, cet épilogue revêt une dimension pamphlétaire de nature à nuire à la “passion dépassionnante” confessée par l’auteur dans le développement de son essai. Passion pour l’Histoire en tant qu’objet d’étude ; dépassionnante pour dénoncer et défaire les nombreuses manipulations de l’Histoire, que celles-ci soient commerciales ou politiques. Sans doute suis-je moi-même biaisé par des centres d’intérêt particuliers. Mais la dimension internationale, non sans lien avec une actuelle complexité quant à la visibilité de ce qu’est la gauche au niveau national dans le mouvement qui s’est formé, avec LFI comme pivot, autour du NFP, sont des enjeux qui, par leur absence dans l’épilogue, me laissent sur une impression de grande partialité. J’ai sur ce blog proposé dans un précédent billet une autre façon de questionner Actualité et Histoire sur cette même question, pour laquelle les échelles nationales et internationales peuvent aider à mettre en perspective l’événement.
Conclusion
Au global, je trouve cet essai et son propos important. Le livre offre une synthèse solide de questionnements intelligents au sujet d’une discipline que nous ne pensons pas à interroger, ni dans sa méthode, ni dans ses productions, et donc certainement pas dans ses effets sur notre société. De ce point de vue, l’expérience de l’auteur, comme historien et comme vulgarisateur-animateur d’une chaîne YouTube exigeante, offre un témoignage et une réflexion de première main de grande qualité sur les questions abordées.
Néanmoins, deux éléments m’interpellent. Premièrement, il me semble que la distinction entre Histoire et Mémoire est trop rapidement évoquée. C’est dommage dans la mesure où celle-ci permettrait de réorienter la question que pose, en tant que société, notre rapport à notre passé, deux déterminants possessifs qu’il serait fascinant de définir. A ce sujet, la série de vidéos de la chaîne Sur le champ (Prise des Tuileries, Bataille de Valmy, Guerre de Vendée) proposent un tour intéressant de cette question.
Deuxièmement, s’il est évident qu’en matière d’Histoire comme en tant d’autres, comparaison n’est pas raison, il existe une chose telle qu’avoir le sens de l’Histoire. C’est une chose qui m’a frappé à la lecture des Mémoires de Léon Blum et de son essai A l’échelle humaine. Ce dernier inscrit très clairement son action et ses décisions dans la généalogie des Homme d’Etat qui l’ont précédé. Et c’est sans doute une chose que l’on peut reprocher à nos gouvernements successifs depuis 2007 au moins. De la même manière, l’apprentissage de son Histoire constituent pour l’Homme un élément d’émancipation. On le voit par exemple dans la conception de l’Histoire développée par les Communistes et l’enseignement qu’ils ont véhiculé auprès de leurs forces vives pour les éveiller les consciences concernées à la lutte qui devait être la leur. Autrement dit, l’Histoire fait bien partie de l’outillage de la conscience politique et donc de la participation au jeu collectif de la société. Il m’a semblé que l’on pouvait comprendre cet essai comme une négation d’un rôle positif de l’Histoire comme chose publique commune appartenant à la société et jouant, d’une manière ou d’une autre, un rôle quant aux citoyens que nous sommes et les choix que nous opérons.
Je ne pense d’ailleurs pas que l’auteur ait des vues qui s’opposent à cela. Simplement, son essai étant orienté vers le point de fuite intellectuel selon lequel il faut aimer l’Histoire pour elle-même, en même temps qu’il affirme sa vertu de développer un sens critique, il me laisse un sentiment d’argumentaire dont les développements pourraient être tirés plus loin, et où, de ce fait, persiste un paradoxe non commenté.
Aucun des deux points précédents ne doivent cependant remettre en cause le travail incroyable proposé par Antoine Resche, qui, bien qu’il refuse le commentaire, accomplit bien un travail d’intérêt public dans le sens où il est salutaire que de telles initiatives pédagogiques soient accessibles gratuitement et aisément au plus grand nombre. Entre exploration de périodes historiques et commentaire constant sur la méthode historique, y compris avec une part importante consacrée au questionnement du devenir de ses propres vidéos, voilà une production tout à fait honnête et éclairante au sujet de l’Histoire. Je vous invite chaudement à découvrir son important travail, sous le pseudo d’Histony, à retrouver sur sa chaîne youtube et sur son blog. Sa série sur la Révolution Française est sans doute un excellent point de départ !