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Les Sentiers d’Anahuac de Dytar et Bertrand
C’est après avoir entendu une critique élogieuse de ce titre sur la chaîne de l’excellente librairie spécialisée BD16 que j’ai eu envie d’aller faire un tour sur ces Sentiers d’Anahuac, scénario de l’historien Romain Bertrand et de Jean Dytar, ce dernier assurant également dessin et couleurs. Entre BD docu et fiction historique, ce superbe livre-objet propose un riche échange de perspectives entre colonisateur et colonisé.
Appartenant à une ancienne riche famille aristocratique au moment de la conquête du Mexique par les Espagnols de Cortes, il y a une vingtaine d’années au moment du récit, Antonio est placé au Couvent de la Sainte Croix, dans son collège, afin d’y apprendre le latin, la rhétorique et le Christianisme. En faisant la rencontre du père Bernardino de Sahagun, notre héros se voit offrir un accès à la culture et à l’histoire de ses ancêtres, le vieux moine souhaitant œuvrer à l’évangélisation de la Nouvelle Espagne par d’autres moyens que la violence. Pour ce faire, il organise des rencontres avec de vieux Nahuas, auxquels il demande de lui raconter les mythes, les coutumes, les sciences, les objets, les valeurs des populations autochtones pré-invasion.
Cette entreprise de renseignement ethnographique a pour but assumé de mieux comprendre les populations locales dans le but de les convertir au Christianisme d’une façon adaptée à ce qu’elles peuvent comprendre. Mais ce processus va résulter dans la constitution d’un corpus documentaire sans précédent, plus tard appelé Codex de Florence, produit sur une cinquantaine d’années, et qui offre un aperçu littéraire et imagé de ces territoires avant l’arrivée destructrice des Espagnols.
La BD de Dytar et Bertrand nous donne à voir, au travers des yeux d’Antonio, toute la complexité de cette nouvelle donne culturelle : les Nahuas ne sont plus souverains, les Espagnols de cette partie du monde ne seront bientôt plus de simples Espagnols et l’importation du Christianisme ouvre un champ spirituello-culturel de nature à bouleverser et accompagner ce dépassement des identités locales et nationales. Antonio, jeune homme intelligent, évolue au cours de l’histoire, passant du statut d’étudiant à professeur dans l’enceinte protectrice du Couvent, avant de se voir offrir les plus hautes responsabilités atteignables par un Nahua dans le nouvel ordre d’administration. On suit ses réflexions sur le temps long. L’histoire peut être lue comme une mémoire commentée par le héros et une progression de sa réflexion et de ses prises de conscience. Découvrant un passé dont il a été coupé et qui n’est plus vivant, il comprend qu’un nouvel homme Mexicain est en train d’émerger, glissement identitaire dans lequel il doit trouver sa place.
Le livre est absolument magnifique. Rendant au toucher l’impression du papyrus, le lecteur a le sentiment d’avoir entre les mains une sorte de tapisserie de Bayeux narrant la conquête du Mexique racontée par un témoin local. Dans sa forme, ce volume est une expérience en soi et se classe immédiatement dans la catégorie des BD OVNI qui, sans doute, ne sont pas faites pour plaire au plus grand nombre, mais raviront les amateurs d’Histoire et récits originaux. Côté scénario, rien de renversant en soi. On est là plutôt face à un récit documentaire, grouillant de mille idées pleinement maîtrisées de mise en scène de bande dessinée pour rendre une dure réalité.
A noter un travail de postface intéressant produit par Romain Bertrand, qui développe le récit en offrant un commentaire détaillé de ses aspects historiques, historiographiques et culturels. Ce travail est encore complété par une base documentaire mise à disposition sur le site de Jean Dytar, qui dévoile de nombreux éléments du processus créatif.
C’est riche, beau et très original dans la narration BD !









