Comment on raconte l’histoire aux enfants de Marc Ferro
Publié dans sa première édition en 1981, Marc Ferro propose dans ce petit livre de s’intéresser à la manière dont l’Histoire est enseignée dans plusieurs aires géographiques et culturelles. Sans doute l’une de mes lectures les plus heureuses de ces dernières années !
C’est au cours d’un entretien entre Pascal Blanchard et Benjamin Stora que j’ai entendu ce dernier recommandait chaudement la lecture du “comment on raconte l’histoire aux enfants” de l’historien Marc Ferro. Intrigué par le résumé qu’en proposait Stora, je me suis d’abord offert l’édition de 1981, avant de le commander à nouveau dans son édition de 2004, afin de vérifier si le contenu variait avant et après la disparition de l’URSS. Réponse : cela n’apporte pas grand chose, mais quel livre !
Naturellement, c’est la logique historiographique qui importe ici. Pour composer son travail, l’auteur s’intéresse aux manuels scolaires d’une quinzaine de pays et cultures, parmi lesquels l’Afrique du Sud, les pays d’Afrique post-décolonisation, l’Inde, l’Arménie, l’URSS, les Etats-Unis, l’Europe et la France… Pour chaque cas, l’historien étudie le ou les manuels scolaires d’enseignement de l’Histoire en indiquant sa date de publication et la durée durant laquelle il a été utilisé. Selon les pays ou culture, le texte proposé est plus ou moins long. Le cas de l’URSS par exemple, ou celui des pays musulmans, connaissent des développements plus importants que d’autres. Dernier élément d’organisation du travail à noter : chaque chapître est introduit par une liste de dates marquantes dans l’Histoire du pays dont il est question.
L’idée consiste à faire ressortir la mécanique du récit, de la mémoire historique à chaque fois. Cela mèle d’ailleurs régulièrement histoire mythique et histoire nationale : le cas de l’Inde est saisissant de ce point de vue. Cette approche permet de mettre en évidence la perspective politique de l’enseignement de l’Histoire : prééminence de l’homme blanc en Afrique du Sud, adossée au mythe des Hébreux dans le désert, survalorisation du passé précolonial dans les pays d’Afrique, mise à profit du besoin politique du moment en URSS, affirmation de l’absence de violence politique dans le modèle de développement national en Inde, thématique de la domination étrangère dans le discours musulman, la thématisation historique au détriment de l’enseignement d’un récit national en France… Marc Ferro montre à chaque fois les zones d’ombre et les angles morts du discours historique transmis aux masses, comme élément identitaire.
Lecture passionnante, lecture exigente. De nombreux passages m’ont demandé de reprendre à deux ou trois reprises le propos avancé, de vérifier sur internet certaines affirmations historiques que je ne maîtrisais pas et qui donnent de la profondeur aux exemples mobilisés, bibliographie extensive en fin d’ouvrage, laissant entrevoir le sérieux de la démarche.
J’ai découvert Marc Ferro en première année d’étude de relations internationales avec son Histoire des colonisations. C’est avec bonheur que j’ai retrouvé sa plume méthodique dans ce petit livre grand par son contenu, qui illustre à merveille l’importance de l’Histoire, en tant qu’objet d’étude, en tant qu’objet de mémoire, en tant qu’enjeu politique structurant culturellement les populations.