The great partnership du Rabbin Jonathan Sacks
Science et religion sont-elles des sujets voués à se faire la tête ? C’est en gros la question à laquelle s’attaque courageusement le regretté Jonathan Sacks, ancien grand rabbin du Royaume-Uni, et par ailleurs PhD en philo, dans son livre The Great Partnership. Courageusement, tant cette question a été totalement désertée dans le débat public par des représentants religieux très embarrassés devant une époque qui semble consacrer la toute puissance technologique, résultat des progrès dans les connaissances scientifiques.
Science et religion peuvent donner l’impression d’être devenues antagonistes par principe, la première reprochant à la deuxième de parler de mythes qui contribuent à la crédulité au mieux et au fanatisme au pire ; la deuxième reprochant à la première de considérer le Rationalisme comme source unique de la Vérité, se raidissant ainsi sur tous phénomènes qui ne sauraient être matériellement démontrés, l’Amour, la Foi (entendu religieusement ou non), la Liberté, et contribuant ultimement à un appauvrissement de la Dignité humaine.
Or nous explique Sacks, cela vaut le coup de défaire les malentendus, tant les deux ont de nombreuses choses à se raconter et à bâtir ensemble. L’idée centrale pourrait ainsi se résumer : si l’on tente de justifier religieusement tel ou tel fait scientifique, ou si l’on tente de justifier scientifiquement tel ou tel récit religieux, on se trompe lourdement dans les deux cas. On est en réalité victime de strabisme intellectuel ! Science et religion ont chacune leur domaine et leur mode de fonctionnement. La Science explique là où la Religion interprète. Comme il le répète à de nombreuses reprises dans son écrit : “Science takes things apart to see how they work. Religion puts things together to see what they mean”.
Sacks propose un parcours dans l’histoire des idées et trouve les moyens d’expliquer son point de vue de façon claire, mettant en discussion les modèles culturels d’Athènes et de Jérusalem, les deux étant les plus grandes sources d’inspiration des mondes européen puis occidental. Il prend le temps de formaliser les méprises colportées par l’Histoire, les dangers de toute puissance de l’une ou l’autre de ces forces, chacune, portée dans ses versions jusqu’au-boutistes, ayant inspiré des massacres au nom du Bien.
Il arrive que l’argumentation s’emballe. L’auteur tente par exemple un certain nombre de métaphores scientifiques pour présenter ses arguments. Parfois ces dernières ne sont pas forcément pertinentes, voire même peuvent prêter le flanc à la critique d’experts et tourner court. Il arrive également que son développement, sans doute par souci de clarté, devienne par endroit simpliste.
Néanmoins, le propos du livre va plus loin que l’exercice de métaphore et cherche à réconcilier deux univers qui ne se sont pas toujours exclus et à ouvrir leurs perspectives, à un moment de l’Histoire où, selon lui, il est crucial que la recherche de la Vérité résulte du dialogue des Modérés. Sans doute le Judaïsme, religion non dogmatique (ou disons dont le dogmatisme fait l’objet d’un débat entre plusieurs écoles de pensée), a moins de difficulté avec la Science que le Christianisme. Ayant fait l’expérience au cours de l’Histoire tant d’un antisémitisme chrétien (type Inquisition) qu’athée sur inspiration scientifique (nazisme, communisme), Sacks sait que sa tradition représente un point de vue original sur les rapports entre Science et Religion, tout à fait à l’aise avec l’idée que la Bible est le récit d’un projet divin, sans prétention à l’explication scientifique, mettant en scène des Relations qu’il convient de questionner, et admettant que ce questionnement ne connaît pas de fin arrêtée. Il n’hésite donc pas à donner des exemples “d’interprétation” issus de la Torah (du texte biblique) ou de la Tradition rabbinique pour illustrer le fait que d’une part la Science doit imposer à chacun la compréhension du fonctionnement du Monde, le “Comment ?”, sans que d’autre part cela ne l’empêche, en homme religieux, d’en tirer des interrogations sur le sens, le “Pourquoi ?”, et les échelles de réflexion que sous-tendent ces faits au regard de sa Tradition.
C’est au final une lecture dense, qui touche à l’Histoire, la Philosophie, les Traditions culturelles qui ont façonné nos représentations actuelles et la façon, à la fois, d’en tenir compte et d’aller de l’avant avec ces deux grandes aventures humaines.