Sefardim d’Anne Bénoliel Defréville
Que faire de l’identité ? Quel sens donner à une identité lorsque l’on n’est pas tout à fait sûr du sens que celle-ci peut revêtir ? Comment composer avec cette partie culturelle de notre être qui nous tombe dessus sans qu’on n’ait rien demandé ? C’est à ces questions qu’Anne Bénoliel Defréville s’emploie à répondre avec sa bande dessinée en forme d’essai autobiographique, Sefardim, dans laquelle elle explore la partie juive de son histoire familiale, plaçant celle-ci dans la perspective ethnique impulsée par le récit biblique et poursuivie dans les foyers de la diaspora juive : la transmission.
Rares sont les récits familiaux qui parviennent à couvrir une période allant de Moïse, aux Rois d’Israël, en passant par les Perses, les Arabes d’Afrique du Nord, et les têtes couronnées Espagnoles, d’Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, jusqu’au roi Felipe VI d’Espagne ! Et pourtant ! C’est la proposition de l’actuel roi d’Espagne en 2015 de réparer l’expulsion imposée aux Juifs en 1492 par son pays, en offrant la nationalité et incitant leurs descendants à revenir s’installer au pays, qui met ce récit en route. En partant de cet événement historique, Anne décide de creuser le passé de ses ancêtres, la façon dont celui-ci s’inscrit dans la généalogie humaine qui a accouché de la notion même de généalogie, l’a inscrite dans ses textes sacrés et a fait de la transmission vivante de son héritage culturel singulier, la signature de sa survie au travers des siècles.
L’autrice, née d’une mère catholique et d’un père juif, se met en scène discutant de ce sujet avec sa mère qui a entrepris un large travail généalogique de la famille. Anne découvre donc au travers du travail de reconstitution mené par sa mère l’histoire familiale de la famille de son père. Ce qu’elle apprend confirme qu’elle peut prétendre à la proposition de 2015 du roi Felipe et l’encourage donc à tenter d’obtenir la nationalité espagnole. La bande dessinée retrace les turpitudes de la démarche admistrative, fil directeur d’une quête identitaire entrecoupée d’aller retours entre réflexions actuelles et flashs historiques qui rapprochent l’Histoire méditerranéenne et le destin nomade des siens.
Anne exprime à plusieurs reprises l’idée d’explorer son origine juive dans le but de comprendre sa place dans le jeu des générations. C’est une chose rendue d’autant plus compliquée dans la tradition juive que, pour une femme non intégrée dans une vie communautaire ou culturelle juive, les marques d’appartenance sont diffuses (comme la mémoire des préparations culinaires à l’occasion de Pessah), là où les hommes peuvent être circoncis et donc avoir une appartenance inscrite dans leur corps (ce qui d’ailleurs pose des problématiques d’une autre nature).
Dans le récit proposé, deux éléments viennent appuyer cette démarche personnelle, orientée vers la notion de transmission : convoquer dans la narration familiale le texte biblique d’une part et d’autre part appuyer sa recherche sur le travail généalogique produit par sa mère catholique. Le premier élément entérine la logique identitaire et culturelle de l’appartenance ; le deuxième permet d’objectiver par l’accumulation d’éléments factuels cette réalité. La combinaison de ces deux aspects forme un essai qui est à la fois instructif (même si parfois elliptique en ce qui concerne le récit biblique), méthodique et plaisant à suivre.
C’est au final une oeuvre ode à la transmission, d’une très grande beauté que ce Sefardim ! Certaines planches m’ont attrappé durant de longues minutes à scruter les nombreux détails, l’harmonie des couleurs et des sujets traités. Le lecteur traverse un condensé d’Histoire et d’histoires, qui dessinent ensemble la caractéristique principal du peuple juif : le maintien de l’identité par la transmission d’une façon de regarder le monde, d’interroger les savoirs, d’affirmer le refus d’un statu quo. Belle lecture !