Le où j’ai rencontré Ben Laden de Jérémie Drès
En février dernier, je suis allé écouter Jérémie Drès lors d’une conférence autour de son œuvre. Il était à cette occasion principalement question de son travail en forme de quête identitaire sur les origines juives de sa famille, partagées entre les mondes polonais/ashkénaze et égyptien/orientaux. L’auteur avait néanmoins également abordé ses autres productions, parmi lesquelles le très intéressant “Le jour où j’ai rencontré Ben Laden“, que je m’étais alors procuré.
Dans ce diptyque, Drès nous propose de rencontrer Nizar Sassi et Mourad Benchelalli, deux hommes de Vénissieux, en banlieue lyonnaise. En 2000, poussés par l’appel de l’aventure, ils se retrouvent embarqués dans un voyage en Afghanistan, qui s’avèrera rapidement très éloigné de la virée touristique qui leur avait été promise ! En effet, les deux jeunes hommes, de 20-25 ans alors, rejoignent sans le savoir les camps d’entraînement djihadistes établis dans les montagnes afghanes. Les choses s’accélèrent au lendemain du 11 septembre 2001 : ils se voient contraints de prendre la fuite devant l’avancée des troupes de la coalition menée par les Etats-Unis, qui cherchent à en découdre à grand renfort de bombardements intensifs de leur zone d’entraînement. L’horreur culmine lorsque, péniblement passés au Pakistan, ils sont arrêtés par l’armée et envoyés à Guantanamo, où ils subiront pendant de nombreuses années une détention illégale, synonyme de torture physique et psychologique, humiliations et isolement.
Drès rapporte le contenu de ses rencontres avec Nizar et Mourad, et travaille également le contexte et le fond du sujet, depuis sa discussion avec un ex-interrogateur professionnel de la CIA, l’ancien maire communiste de Vénissieux, ou encore Dominique de Villepin.
Le deuxième volet vient de paraître et l’ensemble forme un récit assez troublant, et ce pour plusieurs raisons. A l’évidence, le parcours de ces malheureux est une narration de la réalité dépassant la fiction ! Mais surtout, une fois le sensationnel passé, cette histoire constitue un regard en arrière nécessaire/salutaire sur un phénomène qui en une vingtaine d’années a pris une ampleur considérable, et dont le développement trouve dans ces pages les différents paramètres de la mise en mouvement d’un drame annoncé, entre manque de perspectives sociales, crédulité, manipulation, et tout cela sans même encore trop insisté sur la dimension de l’endoctrinement !
Nizar et Mourad mènent aujourd’hui tous les deux des vies relativement apaisées, naturellement marquées par leur vécu hors norme, et témoignent dans les écoles de leur expérience, dissuadant leur auditoire de tendre l’oreille aux discours faciles, invitant toute une jeunesse à rejoindre un combat dont elle ne mesure ni les implications, ni la gravité.
Très bonne BD dans la catégorie documentaire/reportage donc !