
Slava de Pierre-Henry Gomont
Gomont est de ces auteurs dont j’ai envie d’aimer l’œuvre. On sent la qualité des volumes et les bonnes idées qui les habitent. Ce fut malheureusement un loupé avec la fuite du cerveau, histoire farfelue qu’il consacra au devenir de la matière grise d’Albert Einstein après la disparition de ce dernier. C’est une rencontre hautement appréciée avec Slava !
En un triptyque rythmé et brillamment mené, l’auteur réussit la prouesse de nous transporter dans le Caucase post-soviétique pour une intrigue de magnats crapuleux, construisant leur fortune en désossant l’appareil industriel d’un pays en déliquescence, au détriment de camarades mineurs qui n’entendent pas se laisser détrousser de leur outil de travail. Et au milieu deux parasites : Slava, l’artiste idéaliste, et son copain d’enfance Dimitri, qui vendrait père et mère pour grappiller quelques billets.
Les deux compères sillonnent les ruines abandonnées des grandes bâtisses soviétiques, pour y dérober marbres, vitraux, éclairages de valeur et en faire le commerce auprès des nouveaux riches du paysage russe des années 1990. Leur catapultage au milieu des affaires de minerais industriels se fait à la faveur de leur rencontre mouvementée avec Nina et son père, tous deux employés d’une mine de la région et farouches résistants à tous projets de démantèlement de celle-ci. Nos deux parasites, l’un attiré par l’impétueuse Nina, l’autre par l’opportunité d’un bon coup, se mettent en tête de déployer leurs talents de revendeur au service des mineurs.
L’auteur nous offre une aventure hors normes, parsemée de bruitages en cyrillique, entre trahisons, question sociale, appât du gain, passion amoureuse sur fond de bordel slave bien caricaturé. Le tout est servi par un dessin mi-approximatif, mi-survolté, une mise en scène grouillant de bonnes idées et une galerie de personnages attachante.
Au final, c’est une tragi-comédie de grande qualité, qui tient, au-delà du talent de l’artiste, à son travail de recherche que l’on devine au travers des préface et notes de remerciements. Rappelons que Slava a commencé de paraître alors que débutait la guerre en Ukraine en 2022. Slava, par bien des aspects, est une illustration de ces configurations déterminantes dans l’ère post-soviétique, qui confine à la violence aujourd’hui observée. Une version BD, avec une note humoristique, d’un Mage du Kremlin en quelque sorte.