Moi, Fadi, le frère volé de Riad Sattouf
Suite inattendue de l’arabe du futur, le premier tome de Moi, Fadi, le frère volé de Riad Sattouf nous replonge dans l’univers de la série d’origine, tout en changeant de point de vue, nous invitant à suivre les aventures malheureuses de Fadi, le frère de l’auteur. Un premier tome pas drôle, et qui s’insert parfaitement dans cette série autobiographique phare.
Spin off de l’arabe du futur, Moi, Fadi, le frère volé a tous les traits de la série d’origine, dont le style est arrivé à maturité. En effet, si les premiers tomes tâtonnaient quelque peu, avec une coloration limitée et un propos teinté d’humour, souvent grinçant, les tomes suivants abandonnaient peu à peu ce ton pour se concentrer sur une réalité cruelle, aussi brute qu’un enfant sait l’être, tout en proposant un univers graphique plus abouti, notamment dans l’utilisation des couleurs pour rendre le ressenti des personnages. C’est à cette version-ci du style Sattouf que répond le premier volume consacré à l’histoire de Fadi.
Attention spoiler : dans la série d’origine, au fur et à mesure que l’on découvre la vie de famille agitée du jeune Riad, l’on comprend rapidement que le divorce est la seule option possible pour ce couple irréconciliable. Mais on est cependant loin de s’attendre à ce point de rupture que constitue le kidnapping du plus jeune frère de la famille, Fadi, enlevé par son père, qui l’emmène vivre avec lui en Syrie. La fin de la série nous dévoile dans son dernier tome la façon dont l’auteur a renoué contact avec son frère, en mettant tout en oeuvre pour le sauver au début de la guerre civile qui déchira la Syrie à partir de 2011.
Ce premier tome est le fruit d’échanges entre Riad et son frère. Ceux-ci donnent vie à un récit du point de vue de ce frère disparu. Dès ce premier tome, le lecteur est témoin de son enlèvement et de ses premiers pas en Syrie, dans cet environnement de lui parfaitement inconnu. Et l’on retrouve ce père, étrange et estranged – rendu étranger aux siens, qui force son accent en français et cache difficilement sous des airs faussement conciliateur une violente conception des relations familiales en ce qui concerne sa femme et ses enfants, dont il estime qu’ils lui doivent obéissance.
Rien de drôle à ce début de série. Mais le style de Sattouf joue à plein pour narrer cette fresque familiale à peine croyable, dans laquelle les pleurs de l’enfant et ses cris de désespoir pour revoir sa mère ne laissent pas indemne. Certes l’auteur des deux séries est le même, et l’on peut raisonnablement penser que le témoignage de son frère se trouve marqué par son propre ressenti de la vie en Syrie. Il est néanmoins troublant de retrouver ce faussé culturel, dont le lecteur a été rendu familier avec l’arabe du futur, et de constater la violence imposée à cet enfant déraciné, qu’a connue avant lui son frère, mais cette fois en l’absence de sa mère.
J’ai hâte de découvrir la suite de cette histoire peu réjouissante, et pourtant saisissante dans ses détails et rebondissements. Le glissement de point de vue à l’intérieur du même style graphique et narratif donne une forte cohérence à l’ensemble de ces livres, et montre que Riad Sattouf pourrait nous raconter de très nombreuses histoires tirées de ses souvenirs ou de ceux de ses proches, pour poursuivre cette restitution autobiographique, qui emprunte maintenant le chemin de la saga.