Le combat ordinaire de Manu Larcenet
La vie comme combat ordinaire. A l’image du titre, cette oeuvre de Larcenet est à la fois ordinaire, voire banale, en même temps qu’elle invite de façon originale dans les coulisses du ressenti d’un bonhomme. Le combat ordinaire est une autobiographie assumée, qui réussit avec un certain charme l’exercice consistant à transmettre des émotions en utilisant la bande dessinée.
Version semi-sérieuse du retour à la terre, quoiqu’avec un scope narratif plus étendu, le combat ordinaire est une variation sur le thème du passage à l’âge adulte. La série aborde plusieurs situations et sujets que son héros, Marco, avatar de Larcenet, doit affronter pour se construire et poser ses choix de vie. Rapport au père, atteint d’une grave maladie, discussion introuvable avec sa mère, retrouvailles adolescentes avec son frère, rencontre et relation amoureuse avec Emilie, désir d’enfant à appréhender et paternité à assumer, carrière à bâtir et intégrité professionnelle à maintenir… Le combat ordinaire est donc une oeuvre qui s’intéresse à la maturité comme défi.
Portée par un dessin faussement simple, la série oscille entre gravité d’une vie et légèreté de l’être. Le tour de force consiste à faire accroire que l’exercice est facile. La fluidité du récit, de l’enchaînement réaliste des hauts et des bas, la délicatesse de certaines cases, dont l’émotion est parfois contenue dans un objet, l’expression des visages sont autant d’éléments qui font l’intérêt de ce titre. Le titre parvient à orchestrer de très belle manière la rencontre entre les questionnements de l’individu et du collectif, qu’il s’agisse de la famille, du monde artistique, du monde ouvrier que l’auteur a connu dans son enfance. Il organise également à merveille les temporalités, donnant facilement à comprendre, sur un mode non linéaire, le parcours qui fut celui du jeune homme que nous rencontrons.
Par endroits, l’on se dit néanmoins que le récit est un brin immature étrangement. Sa relation amoureuse, par exemple, traverse à peu près tous les poncifs du genre, de ce que Friends et d’autres séries ont été capable d’archétyper en matière de peur de l’engagement : le garçon rencontre la fille qui lui plaît, ne sait pas trop comment le lui dire, mais a tout de même très envie qu’elle reste dans le paysage, pas trop près tout de même car il faut pouvoir respirer, puis discuter de son envie d’enfant à elle en disant qu’il ne se sent pas, mais qu’en fait pourquoi pas… Cela est renforcé par le fait que, malheureusement pour l’auteur, celui-ci est sujet à des crises d’angoisse qui le paralysent. Une touche cliché, réaliste cependant.
In fine, le travail autobiographique, retranscrit en bande dessinée, fait du combat ordinaire l’un des modèles du genre. Les états d’âme sentent bien l’humain et force est de reconnaître que, malgré quelques situations d’une certaine banalité, les doutes et questionnements exprimés font partie de l’expérience humaine, masculine même, dans la modernité. Œuvre référence donc.