Katanga de Fabien Nury et Sylvain Vallée
Lecture dure, violente, noire qui a traîné quelques semaines sur la table de chevet avant que j’arrive au bout, Katanga (lu dans son édition intégrale sortie en 2023) de Nury et Vallée offre une plongée dans l’histoire tumultueuse de l’indépendance de la République du Congo en 1960, mais plus spécifiquement encore de la sécession de la très convoitée région du Katanga la même année.
L’intégrale – qui réunit les trois tomes de la série – s’ouvre sur la révolte des ethnies Balubas contre les Blancs belges, restés au pays au lendemain de l’Indépendance, qui constituent encore les élites économiques et détiennent de facto le pouvoir. Charlie, jeune congolais témoin de l’une de ces scènes, fait mine d’aider une famille belge à s’échapper, avant de la trahir dans le but de s’attribuer les diamants que le père transportait avec lui. Dans le jeune Katanga sécessionniste, le pouvoir du Président Moïse Tshombé voit quant à lui d’un assez bon oeil cette élite blanche, qui administre notamment la puissante Union Minière du Haut Katanga. Cette dernière produit le précieux cuivre, qui assure à cet Etat fantoche des revenus confortables. Sur recommandation de l’UMHK et du conseiller spécial Armand Orsini, le Président Tshombé confie le soin à l’intervention d’un groupe de mercenaires, dirigé par le capitaine Félix Cantor, de former l’armée katangaise et d’assurer un temps la sécurité du pays.
La rencontre de ces personnages que réunissent les différents déterminants de ce Katanga opportuniste – tensions ethniques, corruption des élites, trafic de ressources minières, violence de groupes privés – scelle la tragédie de Patrice Lumumba, le Premier Ministre démocratiquement élu de la tout aussi jeune République du Congo voisine. Sur fond de chasse aux diamants faisant tourner la têtes des différents protagonistes, d’affrontements entre officiels du faux pays et représentants tribaux, de rôle mal assuré de l’ONU et de ses casques bleus et des rapports de vices et de domination entre élites et population, la série dépeint une situation chaotique, née d’un lendemain post-colonial dramatique, caractérisé par une malédiction de convoitise des matières premières.
J’avais précédemment lu et apprécié le Il était une fois en France du même duo formé par Nury et Vallée. On retrouve beaucoup des éléments qui font la signature de leur travail : une recomposition méticuleuse de l’ambiance historique, qui sert de scène à une narration cruelle et sans concession de la bassesse humaine, dès lors que les intérêts économiques sont en jeu. Cela fonctionne diaboliquement bien dans ce Katanga, dont la lecture ne laisse pas indifférent, tout comme le parcours trouble de Joseph Joanovici décrit dans Il était une fois en France. Il me semble néanmoins que cette mise en scène noire des passions humaines est encore plus marquée pour Katanga. Peut-être est-ce un effet de l’actualité peu drôle du moment ? Ou de cette thématique post-coloniale qui se révèle particulièrement cruelle pour les personnes qui en seront victimes ? Toujours est-il qu’au brio de l’écriture, du dessin et du scénario a correspondu une motivation freinée de mon côté par la noirceur des faits évoqués.
Cela est néanmoins l’occasion de mentionner un cours du Collège de France de la fin d’année 2023, dont j’ai commencé à regarder les épisodes et qui s’annonce sur le sujet de colonisation et de la décolonisation tout à fait intéressant. Il est animé par François Héran et s’intitule “Colonisation et migration“, dont le plan de cours est disponible sur le site de l’institution.