La laïcité en France au regard de l’Histoire de…
Cela faisait quelques temps que je cherchais une référence historique concernant la laïcité à la française. Plutôt qu’une dissection de la Loi iconique de 1905, c’est l’insertion du concept dans une logique historique qui m’intéressait. Le livre de Daniel Moulinet, la laïcité au regarde de l’Histoire constitue une première entrée en la matière.
Après avoir fait le constat d’une inflation importante dans la production de livres grand public sur le thème de la laïcité, portant tour à tour sur l’école, l’Islam, la République, l’auteur propose de mettre de côté une actualité brûlante de ce concept clé de la France contemporaine, pour l’inscrire dans un temps long. L’intérêt ici est de regarder la question du rapport entre les pouvoirs temporels et spirituels, entre l’Etat et les religions, et les solutions originales que notre pays adoptera au cours de son Histoire, depuis l’édit de Nantes jusqu’aux acquis de la Révolution et la Loi de Séparation.
Pour les besoins d’un cadrage conceptuel, Daniel Moulinet remonte aux pratiques de la Rome antique et de la notion de religion politique, dont la fonction principale consiste à manifester, à solidariser par le rituel et le culte le vivre ensemble et l’allégeance de la population. Il observe la façon dont cette pratique politique, publique se heurte aux réticences des croyances et pratiques orientales, juives et chrétiennes, qui donneront lieu à des oppressions, des statuts particuliers, voire aboutiront à l’établissement du Christianisme en tant que religion officielle.
A ce rappel de l’Antiquité suit un examen de la situation française et notamment de la façon dont notre pays a vécu les problématiques posées par les guerres de religion et les solutions originales qu’il y a apportées, notamment l’Edit de Nantes en 1598. Le développement le conduit ensuite à examiner le bouleversement de la Révolution Française (biens du clergé, liberté de conscience, constitution civile du clergé…), l’instauration du régime des cultes reconnus par Napoléon Ier, l’abandon progressif du référent religieux dans le domaine étatique et politique à partir de l’instauration du régime républicain en 1870 jusqu’à l’adoption de la Loi de Séparation en 1905.
Une dernière grande partie examine le système de laïcité tel qu’il se stabilise depuis le lendemain de la Première Guerre Mondiale jusqu’à la fin des années 90. Le livre s’intéresse enfin au renouveau de la place du référent religieux dans la société française à la faveur de la manifestation de référents religieux autres que le Christianisme de la majorité des Français, principalement l’Islam, mais également des questions soulevées par la dissipassion de la culture chrétienne de la société française, dynamique qui porte en elle l’inaccessibilité à des pans entiers de notre Histoire.
Le projet est ambitieux, couvre une large période et aborde de très nombreux exemples de nuances entre l’esprit du texte et son application politique. Concernant la période de l’entre deux guerres, j’ai trouvé très intéressants le développement sur une période de discussion apaisée entre l’Eglise et le gouvernement Briand, avant de se tendre à nouveau à partir du milieu des années 20. L’on comprend bien également que le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale correspond à un impossible retour en arrière, tant l’Eglise s’est compromise, au moins jusqu’en 1943, avec le régime de Vichy de Pétain, avec qui elle a partagé une même haine pour le régime de la Troisième République. Dans cette perspective, le basculement culturel opéré par le concile de Vatican II, marquant le passage d’une Eglise de domination à une Eglise au service des Hommes et de la société est ici présentée dans une approche qui éclaire le sens de l’enchaînement des événements. L’auteur le fait en mettant en lumière les différentes données du problèmes, depuis la question de l’enseignement, de ce qui a été vécu comme spoliation des biens en 1905, jusqu’à la nécessité de placer le curseur entre approche rigoriste dans les camps religieux et laïcistes pour trouver les bonnes coordonnées du vivre ensemble en phase avec l’air du temps.
Cependant, un bémol : il m’a semble que même si la structure historique linéaire du livre aide à suivre son développement, il est à noter un certain manque de clarté dans l’enchaînement de certaines propositions ou la difficulté de discerner une ligne évidente dans la thèse soutenue par l’auteur dans l’ouvrage. Cela gêne quelque peu l’appréciation de l’évocation de certains éléments, notamment la façon de considérer avec un oeil critique les positions des uns et des autres au cours de l’Histoire. Il m’a semblé par exemple que toute la période post Loi Debré de 1959 – établissant la possibilité des écoles sous contrat avec l’Etat – relevait de l’exercice de listing d’éléments sans pour autant comporter d’analyse permettant de se faire un avis. Cela est un peu plus le cas encore quand il en vient à examiner le renouveau des défis posés au modèle de laïcité à la française, notamment sur les questions profondes qui se font jour avec une pratique visible de l’Islam à l’école. Pour ces aspects in fine, je suis resté sur ma faim car le livre ne propose pas de véritable analyse des coordonnées du problème posé, et se cantonne à évoquer les décisions politiques et administratives prises jusqu’à la Loi de 2021, sans entrer dans le détail.
Le mérite principal de ce livre réside dans la synthèse qu’il propose des concepts et de l’Histoire jusque dans les années 60. Il manque malheureusement une véritable réflexion à jour sur les enjeux actuels et je suis à la recherche de la prochaine lecture, prochaine pierre à poser dans cette envie de comprendre la laïcité sur le plan historique, et à partir de là, s’armer intellectuellement pour envisager les défis du jour.
1 COMMENT
[…] le livre du Père Daniel Moulinet consacré à l’histoire de la laïcité (revue de lecture sur ce blog), j’ai eu envie d’approfondir cette approche qui éclaire la laïcité par le temps […]