Léon Blum, une vie héroïque
Série en neuf épisodes, produite par Philippe Collin, diffusée sur France Inter à partir de décembre 2022, Léon Blum, une vie héroïque retrace le parcours complet de cet homme politique français trop souvent “réduit à son totem du Front Populaire et des congés payés”, et tente de définir l’héritage, pas si évident à trouver que cela dans le paysage français d’aujourd’hui, d’une vie marquée par un engagement politique taillé dans la culture, la dignité et le courage. Une boussole morale pour son temps et pour le nôtre.
Neuf fois une heure d’émission, en audio, ce n’est pas une mince affaire. La série est richement documentée, donne la parole à plusieurs historiens, qui ont travaillé sur la figure de Léon Blum, sont familiers de son oeuvre, de sa pensée, de son époque. Elle mobilise encore des archives sonores et confie la lecture de lettres, articles, saynètes à des comédiens qui font admirablement le job. A noter également que cette série podcast se double d’un livre, issu des travaux qui ont nourri l’émission. Bon, ça c’est pour la forme.
Que dire sur le fond ? Le récit est dense et long certes, mais construit intelligemment autour d’étapes clé narrées au cours de huit épisodes, dépeignant la vie de l’homme, de l’homme de culture, de l’homme politique, de l’homme de convictions, de l’homme amoureux et émouvant, des femmes qui façonneront et soutiendront l’homme politique (le rôle de Jeanne Levylier est absolument ahurissant). L’ultime épisode est quant à lui entièrement consacré à l’examen de l’héritage de Léon Blum, en se posant une question centrale : comment se fait-il, au vu de l’envergure du bonhomme, que l’on ne soit pas plus attaché à la voie qu’il a montrée au pays ?
Cette question, comme la série l’illustre parfaitement, est de nature à mettre quelque peu mal à l’aise n’importe quel français normal, doué d’un minimum d’honnêteté intellectuelle et d’un sens historique. Et pour cause : l’histoire de Blum se confond avec celle de l’antisémitisme d’une extrême violence qui a caractérisé la IIIè République, tous bords confondus, dès les années 1880, avant de s’installer comme donnée systémique dans le paysage idéologique de notre pays à partir de l’affaire Dreyfus (bonne video de Nota Bene pour introduire le sujet, écrite par l’excellent Histony). L’antisémitisme, c’est la donnée contextuelle qui caractérise le mieux la vie publique de Blum, et qui va jouer le rôle de facteur aggravant pour la figure politique qu’il est, à savoir un humaniste, progressiste, réformiste à la croisée de toutes les fractures de la société de son temps : républicains et anti-républicains, socialistes et communistes, patronat et prolétariat. Dans son engagement public, cet antisémitisme vaudra à Blum, pêle-mêle, d’essuyer le rejet de Barrès qu’il admire tant au moment de l’affaire Dreyfus, d’être violemment accusé par l’extrême droite et l’Eglise de détruire la famille au moment de la publication de son livre Du mariage, d’échapper de justesse à un “lynchage spontané” de forces d’extrême droite en 1936, d’être déporté à Buchenwald par la France en 1943.
La série de Collin explore cette dimension en profondeur et fournit des détails intéressants, relevant de la compréhension historique, sociologique et personnelle, ce qui permet de mieux appréhender le personnage. La République, au-delà de l’idéal politique qu’elle représente, correspond pour de nombreux Juifs à un moment clé où la méritocratie offre une double opportunité : l’ascension sociale et la participation à la vie publique du pays, choses qui pour eux avaient toujours relevées, sinon de l’impossible, au moins de l’impensable. Blum est de ceux-là : il passe le concours de l’Ecole Normale Supérieure et entre au Conseil d’Etat, où il se révèlera être un grand juriste. L’émission rappelle d’ailleurs ce fait notable qui est que chaque étudiant en droit de ce pays lorsqu’il étudie la jurisprudence administrative rencontre Léon Blum (par exemple sur la responsabilité de l’administration et de ses agents – Conseil d’État, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier).
Les émissions montrent enfin deux dimensions, deux aspects d’une personnalité hors norme : l’intellectuel, homme de culture ; l’humaniste aux valeurs qui ne tremblent pas. Critique littéraire et théâtral accompli, connu et reconnu, écrivain, collaborateur aux revues Le Banquet et La Revue Blanche, autant d’activités qui témoignent d’une vie dans les lettres et dans le monde, celui de l’art, de la littérature : il est un dandy, aux amitiés fortes, aimant les plaisirs culturels de la vie parisienne. L’oeuvre qu’il produit témoigne inlassablement de ses engagements, en même temps qu’elle confirme l’élément fondamental de son approche humaniste : l’Homme est seul responsable des valeurs auxquelles il choisit d’adhérer, un élément qui le conduira à refuser le systématisme marxiste et la fusion avec les forces communistes au moment du Congrès de Tours. Léon Blum est cet homme convaincu de la nécessaire correction de la société au profit du prolétariat, en même temps que de la participation de toutes les forces du pays à un projet commun.
De façon curieuse et douloureuse, ces quelques lignes sont écrites au moment où, dans un contexte dramatique, le Judaïsme propose comme lecture hebdomadaire – Parashat hashavua c’est-à-dire un élément de culture normale, même laïcisée, pour un profil comme celui de Léon Blum et de sa famille – la portion de la Genèse intitulée Noa’h (Gn 6, 9 – 11,32) qui débute avec le récit de Noé, se poursuit avec celui de la Tour de Babel et s’achève sur l’apparition d’Abram. Il s’agit de la deuxième portion de texte du cycle biblique dans le calendrier juif, qui fait suite aux récits qui, à la suite de la Création, narrent la transgression d’Adam et Eve et le meurtre d’Abel par son frère Caïn. Quatre récits qui peuvent se lire (cf. Rabbi Jonathan Sacks, Covenant and Conversation: family edition) comme illustrations, par la négative, de quatre aspects de la notion de responsabilité : refus de responsabilité individuelle (Adam accuse Eve qui accuse le Serpent), refus de responsabilité vis à vis de l’Autre (Abel répond effrontément “suis-je le gardien de mon frère ?” quand Dieu lui demande ce qu’il a fait), refus de responsabilité collective (Noé est certes un Juste, mais il n’est pas un héros dans le sens où il ne sauve que lui-même et sa famille), refus de responsabilité morale (les bâtisseurs de la Tour de Babel sont confondus pour n’avoir pas su reconnaître la supériorité divine, autrement dit que quelque chose, une transcendance qui se trouve au-dessus du seul bon vouloir humain). Le récit biblique dessine ainsi une anthropologie, un apprentissage de la responsabilité, qui trouve un aboutissement avec la figure d’Abram, dont l’apparition boucle ces deux premières portions.
Ce que l’auditeur de l’émission découvre, c’est à quel point Léon Blum fut l’incarnation de ce leader politique qui a endossé ces quatre formes de responsabilité, a pour cela chèrement payé (on pense notamment, au milieu des impacts sur sa personne, au meurtre de son frère, René, en déportation), qu’impliquaient son engagement et ses convictions, et ce jusque dans l’horreur de la déportation, qui d’ailleurs n’altéra en rien sa vision humaniste, quel que soit le passeport de l’Homme, et sa soif de justice. C’est dans cette approche singulière, tissée des valeurs les plus hautes et de probité, que la série trouve le plus grand héritage de Blum, le premier a avoir dit non.
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Lectures et écoutes qui suivront :
- Mémoires de Léon Blum
- Fiche biographique sur Wikipedia
- Emission produite par Philippe Collin sur Philippe Pétain : Le fantôme de Philippe Pétain
- Emission produite par Philippe Collin sur Jean-Marie Le Pen : Le Pen, l’obsession nationale
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[…] l’écoute du podcast de France Inter qui lui était consacré, produit et animé par Philippe Collin qui m’a donné envie de lire […]